DENIERS DU CULTE ET MONUMENTALE TARTUFERIE

A travers le projet d’une mosquée monumentale l’on ne peut, hélas, voir que le déplorable mimétisme d’un certain délire religieux de feu un monarque voisin. Comme quoi, dirait le sage, la foi n’a point besoin de cette sordide compétition et la grandeur d’une religion quitte de cette magnificence dans un océan de misère. Ramadan étant comme on le sait propice à tous les piétismes interrogatifs, le sujet est inévitablement re-actualisé à partir de quelques communiqués.

C’est ainsi que l’on apprend qu’une douzaine de bureaux d’études internationaux postulent à ce projet et qu’une présélection n’en retiendra que quatre, parmi lesquels seul le chef de l’Etat aura le privilège discrétionnaire de désigner le lauréat ! Voilà encore un signe de l’inclination régalienne d’une … république qui, au nom de son omniscience, ne sait faire confiance qu’au «goût sûr» du chef. Non seulement il est, par définition extensible, le petit père du peuple, mais il doit également être le garant de l’esthétique architecturale de ses lieux de culte.

Cela n’évoque-t-il pas quelques souvenirs livresques où l’on a appris qu’un führer germain avait redessiné lui-même la chancellerie du reich et le stade de Nuremberg ? Dans le même temps, Staline fit de même avec l’université de Lénine à Moscou qui fut plus coûteuse que les 10 000 logements dont avaient besoin les citoyens - camarades de la capitale. Et comment ignorer, à côté de ces deux-là, le duce italien qui rasa des quartiers entiers de Rome pour les reconstruire sur le modèle des Césars ? Que l’on ne tire aucune conclusion de ce chapelet de démagogies dictatoriales, il n’y a aucune comparaison à faire avec les raisonnables dirigeants de notre modeste pays sauf sur un aspect… secondaire.

D’ores et déjà, l’on se demande qui va payer la facture de cette glorification architecturale fût-elle destinée à sauver collectivement nos âmes ? En effet, il faudra bien s’entendre sur le coût, même si l’on sait qu’unilatéralement l’on se servira dans les caisses de l’Etat. Ce grand’œuvre dédié à la spiritualité exclusive et fondatrice de notre pays est déjà libellé en dollars US et même qu’il oscillerait entre 2 et 4 milliards !

Des chiffres vertigineux que la sagacité populaire a déjà convertis non seulement en dinars algériens mais également en projets profanes alors qu’on les destinait à un usage sacré. Sans l’ombre d’un doute comptable, 4 milliards de dollars représentent 8 universités pouvant recevoir chacune 50 000 étudiants ou mieux encore, 20 années de recherche scientifique. Affectés dans la réalisation des infrastructures, ils suffiront à moderniser le réseau ferroviaire et le placer au niveau des standards européens. L’on peut à satiété s’amuser à affecter virtuellement de telles sommes dans des projets «terrestres ». Elles seront toujours plus parlantes à l’authentique vertu religieuse que tous les minarets taquinant les nuages.

Dire les choses ainsi n’est ni blessant pour le croyant ni blasphématoire à l’égard de la foi. Il n’y a que la tartuferie, dont l’unique aptitude est d’être le «couteau suisse» de tous les aventuriers politiques (n’a-t-elle pas été la voix vociférante du FIS 1990-91?), pour s’en offusquer aujourd’hui : Autant dire que l’histoire qui s’écrira autour de cette «mosquée capitale » sera celle d’un énième scandale financier ou à tout le moins d’une carambouille opaque que seul le dernier du culte est capable de générer.Par le passé déjà, l’édification d’une immense mosquée a suscité des interrogations identiques lesquelles sont demeurées sans réponse ni clarification.

Il s’agit de la Mosquée-université Emir Abdelkader de Constantine qu’il faut considérer comme un contre-modèle lorsque l’argent de l’Etat et les dons se mêlent jusqu’à rendre impossible à démêler l’écheveau entre la contribution privée et les dotations publiques. Son histoire est édifiante. Suivons-la… … A partir de cette journée de 1995, quand Mokdad Sifi, alors chef du gouvernement sous la présidence de Zeroual, fut appelé à inaugurer en grande pompe la «mosquée Emir Abdelkader» de Constantine, il fallut compter un peu plus de 26 années depuis que le projet fut lancé. Sauf pour ceux qui se réjouissent que cette «longue patience» ait fini par payer, les autres, c’est-à-dire les contribuables, ne surent jamais ce qu’il en avait coûté de leurs deniers.

Il est vrai que les deniers du culte sont, dit-on, tabous à comptabiliser ! Glissons doucement et sans faire de bruit sur cette omission du trésor de l’Etat qui s’interdit de facturer la piété collective… En dépit du temps qui a passé (12 années après sa réception officielle), cette mosquée-université continue à designer localement la référence en matière d’opacité. C’est que ce monumental édifice religieux possède une histoire singulière. A l’origine, nous apprendon, il y eut le désir d’une association du culte d’édifier un lieu de prière dans un quartier de la ville qui en manquait.

Comme, par ailleurs, ce quartier-là s’appelait Emir Abdelkader et cela avait donné des idées aux décideurs locaux en mal de formules démagogiques. Ainsi, firent-ils valoir leur désir de contribuer à une opération caritative au moment où celle-ci éprouvait les pires difficultés pour lever des fonds. Car, il faut rappeler que feu l’imam El Baidaoui, dépositaire de cette idée adossée uniquement au volontariat et à la donation, se rendit vite à l’évidence que son projet ne pouvait aboutir sans l’implication des pouvoirs publics. Devant les contraintes matérielles quasi insolubles, il fut naturellement amené à se tourner vers eux au risque de voir son «œuvre» avorter.

Ainsi, en avril 1968, une délibération locale agrée l’association et dès le 4 mai une correspondance fut adressée au président Boumediene via le chef de la 5e Région militaire de l’époque, le colonel Abdelghani. Sensible aux arguments développés par l’association, le chef de l’Etat donnera non seulement son feu vert mais lui conférera de surcroît une autre dimension. Désormais, l’idée changeait à la fois de «mains» et d’objectifs. Le pouvoir politique en fera un instrument du combat identitaire et la confortation exclusive de notre «araboislamisme ». Après 18 mois d’une étude confiée à un architecte egyptien, ami, disait-on, de Boumediene, celui-ci posera la première pierre en juin 1970.

A cette occasion, il déclarera notamment que «l’Islam est bien la civilisation du progrès et de l’évolution et qu’il n’est point, à la fois dans son essence comme dans son esprit, en contradiction avec le socialisme authentique. Car il est aussi bien la religion de la solidarité que celle de l’équité et de l’égalité des chances garanties à tous». Généreux credo d’une spiritualité dont on sait ce qu’il en advint par la suite sous les lambris de cette mosquée. Il suffit de mettre en exergue l’énorme influence qu’exerça El Ghazali sur les talebs placés sous sa coupe. À cette époque, l’on n’eut pas de peine à croire que le projet était sur rails dès l’instant où le chef de l’Etat s’y était impliqué solennellement.

Mais c’était sans compter sur «le facteur humain» à la fois prompt au larcin et inefficace dans l’ouvrage. Il a fallu justement attendre deux longues années avant qu’un premier point soit fait. C’était seulement en 1972 que le comité de la mosquée rendit publique sa situation financière essentiellement constituée de donations et qu’il chiffra à 30 millions de dinars. A cela est venue par la suite s’ajouter la contribution étrangère. Zayed Ibn Soltane, alors émir des Emirats arabes, affecta un million de dollars et le roi Khaled d’Arabie saoudite y contribua à hauteur de 3 millions de dollars.

Grâce à cette confortable autonomie financière, les grands travaux pouvaient commencer. Ils furent confiés à la fameuse DNC dont la notoriété s’avéra surfaite. Plusieurs rendez-vous pour son inauguration furent piteusement différés jusqu’à pousser l’opinion locale à brocarder l’incompétence des pouvoirs publics en parlant ouvertement de traficotages douteux. L’idée des escroqueries fera son chemin et n’épargnera même pas les personnalités les plus en vue. Pourtant, avec le recul, la réalité se révéla toute simple. Elle tenait à la fois à un redéploiement mal préparé du projet initial et à une mauvaise inscription de l’ouvrage dans les financements du plan.

En effet, ce qui n’était au départ qu’un projet de lieu de culte fut vite transformé en université des sciences islamiques. Priorité fut donnée à ce dernier volet au détriment des espaces de prière. En 1984, la première promotion d’étudiants en sciences islamiques fut alors reçue, alors que l’édifice du culte dut attendre encore quelques années. Ballottée entre le budget du ministère des Habous et les disponibilités aléatoires du plan, elle connaîtra de multiples arrêts de chantiers.

Et ce n’est qu’à partir de 1982 qu’une commission intergouvernementale fut mise en place avec pour mission de piloter le projet jusqu’à son aboutissement. Mais ce réaménagement du pôle décisionnel ne suffira pas à relancer correctement les travaux, car entre-temps des surcoûts apparurent (ah ! les classiques niches de la corruption) qui exigèrent pas moins de 12 avenants. Un record ! Aujourd’hui encore, aucun document officiel ne chiffre avec exactitude le coût global de l’ouvrage.

Tout au moins sait-on par des recoupements sérieux que cette mosquée a coûté au contribuable algérien l’indécent pactole de 300 milliards de centimes à sa valeur de l’époque. Entre la pierre de Boumediene (juin 1970) à Constantine et celle de Bouteflika (200 ?) à Alger, seules quelques décennies les séparent quand les aigrefins, eux, sont toujours sur la brèche. 3 milliards de dinars ou 3 milliards de dollars c’est, d’une époque à une autre, une simple conversion de monnaie, quand l’affairisme et la corruption sont les constantes de cette république. Insupportable tare qu’une fois encore Transparency International vient de mettre en évidence.

Boubakeur Hamidechi

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