Décantation
De petits réseaux dormants qui, à chaque échéance, s’éveillent pour tenir lieu de partis d’appoint ont dû être surpris par la condition du congrès posée par Zerhouni à leur participation aux prochaines législatives.
Hibernant entre deux rendez-vous électoraux, ils sont à la vie politique ce que la marmotte, le loir ou la chauve-souris sont au règne animal : ils ne se réveillent qu’à la saison de la chasse. Assoupis des mois durant, rien ne les ranime. Ni les séismes ou autres catastrophes naturelles.
Qu’on organise le détournement et le transfert de plus de deux milliards de dollars, que des terroristes fassent sauter sept voitures piégées contre les façades de commissariats et brigades de gendarmerie, qu’une ligne de métro mette vingt-cinq ans à ne pas s’achever… rien ne les scandalise au point de les faire sortir de leur saisonnière sieste. Savent-ils qu’il y a un déficit de deux millions de logements, et plus d’un million de postes de travail ? Qu’à cela ne tienne : ils en parleront la dernière semaine d’avant le vote, histoire de glaner, çà et là, un siège local ou parlementaire… quelques sièges si possible.
Sinon, ils se contenteront bien de quelques banquettes rémunérées dans des commissions électorales pour contrôler des élections qui ne les concernent parfois même pas. Zeroual avait poussé le procédé jusqu’à en faire un parlement provisoire dont les membres étaient nommés : le Conseil national de transition, fait de représentants de partis qui n’avaient pas l’envergure de se présenter à des élections législatives.
C’est dire qu’ils ont eu à être utiles : investir des instances d’“arbitrage”, faire office de classe politique de rechange, en cas de boycottage, etc.
Leur multitude atomisée joue dans les sphères politiques le rôle des particules dans l’univers naturel : s’ils ne peuvent y prendre leur place, ils le polluent. Encouragés dans cette fonction parasitaire par un pouvoir qui a besoin de brouiller la carte politique quand il ne peut pas l’imposer, des dirigeants esseulés découvrent qu’on peut faire de la politique sans avoir à lutter, à concevoir et à mobiliser.
Pas besoin de moyens, de personnel ou de prise de risque. Juste un sigle qu’ils remisent entre deux élections, bien à l’abri des fraternelles convoitises qui le leur disputent parfois. Apparemment, le ministre de l’Intérieur, parce qu’il n’a plus besoin de pléthore d’initiales pour masquer l’emprise du pouvoir en place sur la vie publique, ou pris d’une réelle envie d’assainissement, veut mettre fin à ce tacite arrangement qui date du multipartisme officiel.
Menacés dans cette position de rente, plusieurs d’entre ces partis veulent se syndiquer. Ils ont invité et pris à témoin les partis “régularisés”, probablement pour bénéficier de leur soutien dans la riposte à leur remise en cause administrative.
Il ne serait pas étonnant que ces derniers prennent fait et cause pour les “victimes” de l’Intérieur : la confusion profite surtout à ceux qui gagnent. Tous partagent l’unique consensus national : éloigner les militants et les citoyens des enjeux politiques. La vie politique ne repose que sur des tractations d’appareils au service, intéressés, d’enjeux de clans.
On est bien loin d’une réelle vie politique, et encore plus loin de la démocratie.
Mustapha Hammouche