L’autre côté du mythe
Cette histoire du président qui rabroue ses ministres et ses walis en direct à la télévision nous laisse perplexes quand même face à cette question lancinante : pourquoi refuse- t-il de les limoger ? Des gens sérieux ont commencé par relever qu’un minimum de dignité aurait poussé les personnes rabrouées en public à démissionner. C’est un point de vue. Mais un point de vue moral. La politique ne fonctionne pas sur ce registre. Et je vous affirme que le président aurait refusé toute démission pour cette raison-là. Pas de démission, pas de révocation et la série continue.
Cette non-décision appartient au mythe du bon calife. Tous les mythes fonctionnent à la polysémie. Nous avons parlé les dernières fois de certains des sens de ce mythe et de certains de ses mécanismes. Il nous reste à voir encore un aspect. Dans le spectacle du président demandant des commissions d’enquête, affirmant que les ministres lui mentent, un autre message encore plus subtil passe : «Voyez ces loups, menteurs, manipulateurs, inciviques, certainement incompétents. Si je n’étais pas là, ils vous auraient bouffés tout crus, ils auraient déjà fini de piller l’Algérie et de détruire l’Etat.» La fonction de père protecteur postule l’existence des mauvais fils et des loups qui rôdent. Il aurait refusé leur démission et refuse de les limoger pour se légitimer dans ce rôle. Il n’est pas besoin de berger sans les loups de la forêt. Tout le secret est là. Tout comme le gendarme a besoin consubstantiellement du voleur pour vivre, le président papa, le bon calife a besoin de ses mauvais vizirs. Et cela aussi fonctionne. Et même fonctionne très bien. A l’est d’Alger, assez loin à l’est, un jeune homme résolument dans la mouvance FFS a eu ces mots commentant les images d’Oran : «Vraiment le président est fatigué. Ils (son entourage) l’ont rendu malade.» Il devient victime de sa mission de vigilance face aux loups qu’il a quand même choisis personnellement, le dernier rempart face au danger immanent, le berger indispensable à la protection du troupeau et …. à sa bonne guidance. Tant que cela marche, pourquoi pas ? A vous de mesurer votre propre chemin vers la naissance de la conscience politique.
