Contre le malheur : Allah Ghaleb !

Lorsque les historiens se pencheront sur la période actuelle de la vie du pays, ils ne trouveront pas beaucoup de sujets de réconfort. Pour ne prendre en compte que l’année 2007, on a beau chercher : pas la moindre trace d’une traînée de poussière d’optimisme. Le peuple a beau se voir proposer des jeux du cirque, comme au bon vieux temps, le cœur n’y est pas. Et le pain non plus, puisqu’il est patent qu’un ventre affamé n’a point d’oreille.

Je m’empresse d’ajouter que mourir de faim n’est pas la façon la plus banale et la plus répandue de tirer sa révérence en Algérie. L’Algérien mange à sa faim, c’est connu et il a même beaucoup d’appétit à voir les surcharges pondérales qui embouteillent nos trottoirs. Mais il souffre d’autres choses, de maux multiples dont la perte de confiance n’est pas le plus mortel. Alors, en attendant un hypothétique 1er novembre qui ne sera pas celui des dupes, nos compatriotes s’en remettent à Dieu. Depuis 1962, on les prépare à ça : contre la rapine «Allah Ghaleb !», contre le despotisme, «Allah Ghaleb !», contre des gouvernements incompétents «Allah Ghaleb !» etc. «Allah Ghaleb !», sommairement traduit peut vouloir dire : «C’est la volonté de Dieu.» On peut le traduire aussi par «Dieu est le plus fort», et ajouter tout bas : «Mais ceux à qui il a confié nos destinées… Hou la la !» Il y a une traduction encore plus cynique et plus appropriée : «Dieu est vainqueur mais ceux d’en face ont gagné.» Non ! décidément, il y a trop de résignation et de laisser faire dans «Allah Ghaleb !» «Allah Akbar !» est plus stimulant et plus dynamique mais il a mauvaise presse depuis quelque temps. C’est sans doute ce credo que lancent les talibans lorsqu’ils assassinent froidement de jeunes Coréennes. Et puis, n’oublions pas que c’est cet islamo-opportuniste de Saddam qui a eu l’idée de coller cette formule sur le drapeau irakien. Saddam est mort mais son drapeau flotte toujours. Il y a des statues qui ne se déboulonnent pas et les Irakiens l’apprennent chaque jour à leurs dépens. Il ne faut pas s’étonner alors qu’un citoyen, mortellement patriote, de Mostaganem ait interpellé le président Bouteflika sur ce thème. On raconte (1) que ce citoyen, visiblement repu de nourritures terrestres, a demandé au président de coudre «Allah Akbar !» sur notre drapeau. Tout autre président que le nôtre, Kaddafi par exemple, aurait eu un sursaut d’indignation typique : «Je vous interdis d’établir une comparaison entre ce dictateur et ma personne. Je ne suis pas un imitateur mais un précurseur, qu’on se le dise !» Calme et pondéré, comme à son habitude, le président Bouteflika s’en est tiré avec une pirouette : «C’est plutôt «Allah Ghaleb !» qu’il faudrait coudre sur l’étoffe de nos drapeaux. Je n’entends que cette phrase, partout où je vais !» Si l’anecdote et les propos rapportés sont authentiques, le fait mérite assurément de figurer au panthéon de nos citations historiques. Si l’interpellation est plus spontanée que les appels au troisième mandat, elle démontre au moins que le président de la République a conservé toute sa vivacité d’esprit. Avec son sens de la répartie, il a trouvé là un fameux raccourci pour accéder à l’Histoire. Et si au jugement dernier, on lui demande pourquoi il n’a rien fait pour changer cette mentalité de résignés, il a une réponse toute prête : «Allah Ghaleb !» Que ce soit par les cris de guerre homicides ou par la détresse résignée des immolés, le monde musulman continue à crier au reste de l’humanité sa singularité. Il y a une quinzaine de jours, le mufti d’Al-Azhar a cru faire faire un pas vers l’universalité et la concorde religieuse en éditant une timide fatwa sur l’apostasie. Il autorisait, sous certaines conditions, un musulman à changer de religion sans encourir le châtiment de la peine de mort décrété pour les apostats. La levée de boucliers a été quasi simultanée du Machrek au Maghreb : c’est une fatwa américaine( 2), ont décidé les théologiens intransigeants de l’Islam dominant. Du coup, même notre ministre du culte y est allé de son antienne. Interrogé par la rubrique «Mosquée rouge» d’un de nos quotidiens, il a affirmé qu’il était interdit de quitter l’Islam. M. Ghollamallah n’a pas manqué, toutefois, de rappeler qu’il était pour la liberté religieuse et que celle-ci était garantie en Algérie. Qu’ajouter de plus à de tels propos si ce n’est la formule sauve-qui-peut : «Allah Ghaleb !» C’est encore sous prétexte de lutte contre les Etats-Unis qu’une étrange fatwa circule depuis quelques mois dans le monde musulman, nous dit notre confrère égyptien Khaled Mountassar. «La semaine dernière, raconte-t-il, j’ai eu la surprise de découvrir dans une des rubriques perdues de la presse publique une déclaration du Cheikh d’Al-Azhar, le Dr Tantaoui, affirmant que le vaccin contre la poliomyélite était hallal. La fatwa est évidemment passée inaperçue mais cela ne m’a pas empêché de m’interroger : «Depuis quand, la vaccination des enfants contre la poliomyélite est-elle l’objet d’un tel débat ?» Puis, je me suis rappelé que nous vivions à l’heure des fatwas en cascade, de la sonnerie des portables aux détails des relations intimes à l’intérieur d’une chambre à coucher. Tout est sujet à fatwas dans ce pays submergé par la vague taliban. D’aucuns ont exploité ce climat pour remettre en cause les succès remportés par l’Egypte dans sa lutte contre la poliomyélite, et au moment où le pays s’apprête à annoncer que ce mal est enfin éradiqué». «Le pire, note Khaled Mountassar, est que ces fatwas qui viennent d’Afghanistan, du Pakistan et du Nigeria, commencent à susciter des échos dans notre pays. L’Egypte qui a été le berceau des lumières et du renouveau religieux s’est ainsi lancée dans l’imitation aveugle de comportements obscurantistes ». En fait, précise Khaled Mountassar, la fatwa du Dr Tantaoui est une réponse à une fatwa pakistanaise, précédée elle-même d’une fatwa nigériane, qui proscrit le vaccin contre la poliomyélite. La raison de cette interdiction est que le vaccin est américain et que les Américains veulent rendre stériles les enfants musulmans, les empêcher de procréer et réduire ainsi le nombre des musulmans sur terre. La fatwa lancée depuis cinq mois par deux théologiens pakistanais a eu un effet boule de neige au point de contrecarrer les efforts de l’Organisation mondiale de la santé pour faire disparaître le fléau de la poliomyélite. La population est tellement terrorisée que des femmes se rendent en cachette dans les hôpitaux pour faire vacciner leurs enfants. Selon l’OMS, les pères de 160 000 enfants pakistanais, dont 24 000 dans la région du nord, ont refusé de faire vacciner leurs enfants. Ils ont ainsi obéi à des injonctions propagées par les mosquées. Sur quatre pays frappés par la poliomyélite dans le monde, trois sont des pays musulmans, à savoir le Pakistan, le Nigeria et l’Afghanistan, le quatrième étant l’Inde, relève encore Khaled Mountassar qui constate amer : «C’est ainsi que le vaccin contre la poliomyélite a été inventé par un juif américain et interdit par un musulman pakistanais». Il pourrait aussi conclure : «Allah Ghaleb !»
A. H.

(1) La scène aurait été filmée et diffusée par l’ENTV que je ne regarde qu’occasionnellement. Avec la multitude de chaînes fondamentalistes qui nous est proposée, mieux vaut s’intéresser à l’original qu’aux pâles copies.
(2) Encore une croyance absurde que celle prêtant aux Américains la volonté de nous réformer, y compris sur le plan religieux. Si telle était leur intention, ils auraient choisi un autre allié stratégique que l’Arabie saoudite.

Ahmed HALLI

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