Le père Noël des fonctionnaires
Alléluia ! Sidi Saïd est ressuscité. Alors qu’on le croyait frappé de catalepsie politique après sa lamentable audition au procès de Khalifa, le revoilà donc plus actif que jamais. Les deux millions de fonctionnaires, ces fidèles agents du bien public devraient s’en féliciter et louer la providence de l’avoir rétabli dans son rôle d’oracle, lui qui n’a jamais cessé d’incarner «l’annonciation». Jouez tambours et sonnez trompettes ! Le sublime syndicaliste est revenu pour annoncer de «bonnes surprises» aux salariés de l’Etat.
Et s’il le dit avec tant d’aplomb et certitudes c’est qu’il a reçu non seulement des assurances mais qu’on lui concéda également la primeur de la bonne nouvelle. Ainsi, avec ce syndicaliste souvent confondu par les faits nous sommes à peine dans la caricature. Et si nous forçons le trait de la dérision c’est pour mieux souligner le dérisoire des arrangements qui s’opèrent en haut lieu. Le monde du travail, orphelin d’avocats, le comprend mieux que quiconque et s’en désole. Après tant de scandales et de concussions politiciennes, les travailleurs n’avaient qu’un seul souhait : refonder cet outil de combat qu’est l’UGTA en commençant d’abord par faire le ménage dans ses structures et répudier bon nombre de carriéristes. A quelques mois d’un congrès qui n’en finit pas d’être différé ils constatent, hélas, que les mandataires d’hier et d’avant-hier sont toujours sur la brèche. Ne cédant ni leurs postes et ne concédant aucune parcelle de leurs ambitions, ils s’apprêtent à renouveler l’institution en postulant à leur propre succession. C’est ce qu’est venu suggérer en pointillé le secrétaire général à Blida. Plus solide dans son rôle qu’on l’eût cru, ne s’est-il pas livré à une plaidoirie «pro-domo» qui le décrit à son avantage ? Pour s’être confiné durant quelques mois dans un mutisme quasi coupable, ses récents «effets de manche» n’indiqueraient- ils pas que sa disgrâce officielle a pris fin ? Depuis le temps que l’on sait que ce syndicat est aux ordres et que son secrétaire est un caporal discipliné, l’on a la certitude que tous ses congrès se ficellent hors des joutes et que les mandats supposés électifs sont une affaire de marchandages qui se concluent sous le contrôle strict du pouvoir. Chez le commun des syndiqués, désespérés par la multiplication des scandales ayant éclaboussé les cadres dirigeants de la «maison», l’on comptait paradoxalement sur l’interventionnisme traditionnel des hautes sphères pour chasser une faune de prédateurs désormais compromettante pour l’image même du régime. Or, aujourd’hui la crainte est qu’il n’en soit rien. Sidi Saïd entendu comme «témoin et reparti en tant que tel», selon la magistrate du procès Khalifa n’est pourtant pas au-dessus de tout soupçon. Depuis ses aveux au sujet de la transaction immobilière du siège du journal du syndicat, aucune instance interne ne l’a interpellé pour avoir des éclaircissements . Curieuse omerta des structures (fédérations et unions horizontales) qui renseigne sur le degré de complicité qui lie ce beau monde. Après le séisme médiatique qui fissura leur semblant de probité syndicale, ils s’attellent à nouveau à se refaire une notoriété et cela avec la bénédiction de ceux qui ont pourtant les moyens de les disqualifier. Sans doute que les meetings syndicaux, tenus ces derniers temps par le secrétaire général, ont bénéficié de quelques feux verts. Même s’il est trop tôt pour conclure à une troisième reconduction, l’on peut par contre supposer que les membres actifs de la commission exécutive sortante ont quelque part reçu des promesses d’amnisties futures. A tort, certains confrères ont cru déceler dans les affirmations de Sidi Saïd la préparation d’un «deal» avec le gouvernement. Comme si par le passé ce syndicat avait déjà dérogé à cette compromission permanente en actionnant des mouvements de revendications pour contrecarrer chaque politique anti-sociale. Or si «deal» il y a dans les mois à venir, il tiendra uniquement au devenir des hommes qui ont longtemps animé ce syndicalisme jaune. Les messagers d’El- Mouradia et du Palais du gouvernement ont, en effet, toute latitude pour leur forcer la main en contrepartie d’une sortie honorable. De celles qui prescrivent les forfaitures en échange d’une nouvelle mise en scène destinée à «élire» de nouveaux «faisant fonction» à la tête d’un syndicat mortellement passif. Voilà pourquoi Sidi Saïd jubile lorsqu’il est aujourd’hui en représentation. Le fait même qu’on le charge en plein été du rôle du père Noël des fonctionnaires le désigne déjà à une retraite paisible.