L’ombre de la privation

A plus d’un mois du Ramadan, elle a commencé à faire ses provisions. La tomate, d’abord. Elle la prépare comme des conserves. Peler, cuire à moitié, mettre dans des bocaux. Sa voisine préfère les petits bacs à glaçons. Ils lui permettent de choisir ses doses avec plus de précision ou de finesse, choisissez le terme qui vous convient. Ensuite viennent les courgettes. Elle les découpe, selon l’usage projeté, en deux puis chaque moitié en quatre ou alors en petits dés. Les portions iront dans des boîtes de yaourt ou de margarine.
Le dosage reste important ; il permet de prélever selon les justes besoins du jour. Puis viennent tous les autres légumes qu’elle peut acheter, aujourd’hui, au meilleur prix. Elle les accompagne, parfois, d’un bout de viande qui irait bien avec la chorba, ou avec une sauce, ou avec un ragoût. Elle ne met jamais la totalité de la viande achetée dans la marmite. Une vraie science du marché, une vraie projection des menus. Inutile de vous parler des pois chiches, elle les congèle à longueur d’année. Mais il existe une limite à tout. Il devra quand même faire des achats et pas seulement pour les fines herbes. De toutes les façons, les dépenses de ce mois de jeûne pèseront lourd sur le budget. Elle n’a pas repris tous les réflexes accumulés par sa mère lors des années maigres de la colonisation quand on n’achetait que pour le strict besoin et au strict minimum : un quart d’huile, un demi-pain, une demilivre de sucre. Les années de privation sont loin derrière nous, heureusement. Pourtant, leur ombre s’est remise à planer. Et il faut calculer au plus juste pour bien nourrir les enfants, leur donner en fonction de leurs besoins, laisser ouverte la perspective d’une gâterie, ne pas oublier leurs anniversaires et l’argent du cyber qui a remplacé celui du cinéma. Pour le mois d’août, pour quelques journées de plage, elle a économisé sur les fruits, car, voyez-vous, le père, il râle quand il fait les comptes même s’il fait partie des couches moyennes, en principe. Autant en rester, avec lui, au transport et aux glaces. La pilule passera mieux. Non, vraiment, cette famille échappe aux grands tourments du salaire consommé en quinze jours.

MOHAMED BOUHAMIDI

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