Réconciliation : sens et non-sens

Dans ce lycée de la wilaya de Sétif, peut-être l’un des rares à continuer à fonctionner en ce torride 25 juin, les élèves sont à l’ouvrage. En ce jour de tournée présidentielle, l’objet de la séance coule de source : la réconciliation nationale.
Dans l’atmosphère de cette classe studieuse et conviviale à la fois, le chef de l’État ne pouvait échapper au devoir pédagogique d’offrir aux enfants le souvenir d’une contribution présidentielle. Inspiré par la leçon du jour, il demande donc à une élève de chercher, dans le dictionnaire, la définition du mot “réconciliation”. La jeune fille ouvre le livre à la page du mot et lit : “Réconciliation : acte de réconcilier d’anciens amis brouillés.”
L’insinuation, que cette proposition politiquement suggestive peut engendrer chez les auditeurs, n’échappe pas au chef de l’État. Exerçant sa vigilance en matière de discours, le Président ajoute donc que l’on peut aussi réconcilier d’anciens ennemis, complétant ainsi la définition du dictionnaire lue par l’élève.
Le thème du jour a été probablement choisi pour nous faire la démonstration télévisée que nos adolescents sont bien imprégnés de la doctrine d’État ; ce serait le comble que cet exercice vienne semer le doute sur la signification réelle, c’est-à-dire officielle, de la réconciliation.
L’idée d’amitié préalable sémantique à la discorde, elle-même préalable à la réconciliation, peut prêter à confusion, en effet. Si l’on intègre qu’on ne peut humainement se réconcilier qu’avec d’anciens amis, l’on serait tenté d’en déduire qu’on ne peut politiquement se réconcilier qu’avec des parties qui furent à un moment idéologiquement proches.
Or, tout le discours officiel est conçu pour soutenir la négation de cette hypothèse, à savoir que la réconciliation ne serait pas un pacte entre une partie et une autre, un front et un autre, mais entre tous et tous, entre chacun et chacun. D’où la recherche de l’unanimité plébiscitaire. D’où l’intolérance à toute objection.
Pourtant, n’est-ce pas un parti pris que de privilégier l’immunité des terroristes aux dépens du droit à la justice de leurs victimes ?
Même l’argument sécuritaire est paradoxal du moment que l’État se déclare en mesure de mener la lutte contre le terrorisme jusqu’à son aboutissement et se défend d’être contraint à un compromis. Au contraire, la réconciliation est proclamée comme objectif, la paix n’en étant presque plus qu’une heureuse retombée. Alors que la réconciliation est, par définition encore, une démarche bilatérale entre deux anciens proches, la réconciliation nationale est unilatérale : les responsables du terrorisme n’ont pardonné à personne, ni demandé de pardon.
Pour désamorcer toute remise en cause de ce système de paradoxes conceptuels, un riche univers discursif a été créé, tordant le cou aux concepts, à l’effet de déresponsabiliser les terroristes et de juguler toute revendication de vérité et de justice : ils deviennent de pauvres “égarés” ou même, grâce à la dernière contribution du chef d’état-major de l’ANP, des “inconscients”, presque légalement irresponsables.
Pour ne pas trahir la pensée, c’est, on le voit, utile de revenir au sens des mots. Aux manuels de base. Et pas parce que la vérité sort de la bouche des enfants.

Mustapha Hammouche

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