L’ETRANGE FABLE DE L’ETRANGE MONSIEUR B.B.

Abdekka à Chlef. Son entourage affirme que la visite n’a souffert d’aucune faille. L’opposition, elle parle d’un…

… accueil préfabriqué

Aujourd’hui que je suis sur le départ, le grand départ, aujourd’hui que la porte de sortie m’est enfin montrée, aujourd’hui que les forces me quittent, aujourd’hui que mon pas se fait plus lourd, plus lent, difficile et douloureux, aujourd’hui que mes yeux n’y voient plus goutte, aujourd’hui que mes mains n’arrivent plus à se saisir d’un objet sans le renverser, je peux vous en faire l’aveu sans passer pour un fou, un illuminé, un candidat à la camisole.

Et que ces paroles d’un vieillard à la lisière de la mort soient consignées ici comme un témoignage pour la postérité. Je l’ai connu. Il y a longtemps. Fort longtemps. J’avais cinq ans. Et cette année-là, mes parents, fiers comme tout m’avaient inscrit à l’école primaire. J’étais habillé de neuf, de pied en cap.

Et mon père, le buste en avant et les yeux brillants de bonheur portait mon cartable flambant neuf de la main droite et me serrait la mimine de la main gauche. C’est dans la classe qui m’a accueilli ce jour-là que je l’ai vu pour la première fois. Il portait beau le costume, fourrageait dans nos cheveux et souriait de toutes ces lunettes.

Quelques années après, à l’examen de sixième, je le revis. Il portait toujours aussi beau le costume, fourrageait tout autant que la première fois dans nos tignasses et souriait un peu moins à la vue d’élèves habillés de kamis. Quelques années après, au BEF, je le reconnus dès son entrée dans la salle d’examen où je m’escrimais avec des soustractions et des multiplications particulièrement rétives.

Passablement perturbé par son intrusion, légèrement agacé par cette interruption dans ma cogitation forcenée, je souris tout de même lorsqu’il fourragea dans ma chevelure. Des années et des redoublements après, à l’examen du baccalauréat, il revint. Assis à deux tables de distance d’une belle candidate aux boucles brunes que j’avais repérée dans la cour et pour laquelle mon jeune cœur battait déjà la chamade, j’eus soudain une boule dans l’estomac en le voyant passer entre les rangées.

«Et s’il lui prenait de fourrager aujourd’hui encore dans mes cheveux ? Je serai la risée de ma belle aux cheveux bouclés ?» Finalement, il s’abstint de nous décoiffer, sourit de toutes ces lunettes et posa la main sur mon épaule et me demanda si le sujet de philo était abordable. J’ai su, dès cet instant que si je décrochais mon baccalauréat, cette main se poserait sur mon épaule durant toutes mes années fac. Je n’avais pas tort.

Il a été de tous mes amphis. Et là, aujourd’hui, au crépuscule de ma vie, dans mon vieux salon sur les murs duquel mes diplômes sont accrochés, dans mon vieux fauteuil, presque aussi vieux que moi, une vieille couverture sur mes vieilles jambes arthrosées et des chaussettes en laine aux pieds, lorsque je reçois mes petits-enfants à la maison et que je vois leurs cheveux ébouriffés, je sais que Boubekeur Benbouzid est passé dans leur classe. Alors, mi-souriant mi-narquois, malgré l’interdiction de mon toubib, je fume du thé et j’essaie de rester encore un peu éveillé à ce cauchemar qui continue.

Hakim Laâlam

P.S : Dans le climat général de délabrement, de déliquescence et de laisser-aller, les aléas de la vie vous font parfois accoster sur des îlots d’excellence, de passion à l’ouvrage et d’abnégation. C’est tellement rare, que lorsque ce genre d’accostage miraculeux a lieu, il faut le signaler. Merci donc au personnel du service ORL du CHU Mustapha, à leur tête le professeur Djenaoui. Merci d’avoir su redonner au mot « ettbib » toute sa valeur.

Le fumeur de thé

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