Good bye Abdenour
Abdenour F. a quitté Khenchela pour l’eldorado de la Blanche. Il n’y a trouvé que les cauchemars.
Au deuxième soir de Ramadhan 1428, les éléments de la Bmpj d’Alger effectuent une descente surprise en plein chantier du tramway de la capitale.
Arrivés à Cinq-Maisons (El Harrach) et agissant probablement sur renseignements, les policiers descendent en trombe, entrent dans le taxiphone du coin, réputé comme étant un bazar pour les sniffeurs. Ils y trouvent Abdenour F., un natif de Khenchela, venu dans la capitale ramasser quelques «honoraires» en gardant le parking mitoyen au taxiphone où il passe ses nuits chaudes.
Surpris, les policiers trouvent dans le local commercial les lieux déserts. Seul Abdenour était debout. Il est fouillé. Il a sur lui un couteau de boucherie. Premier délit car l’arme blanche n’a rien à faire sur Abdenour. Catastrophe! L’un des policiers s’avance vers une étagère et cueille une boîte de vingt-quatre cachets de psychotropes.
A vingt-huit ans, Abdenour sent le sol du taxiphone l’avaler. Il est troublé. Il est ému. Direction, le poste police où il passe une nuit, pas blanche, en technicolor…Il pense déjà aux quarante mille dinars trouvés sur lui et confisqués. Le lendemain, il est devant le procureur d’El Harrach qui le place sous mandat de dépôt et est jugé cinq jours plus tard en flagrant délit.
La famille est alertée, du fier Chabor à Bab Ezzouar et Dély Ibrahim. C’est la consternation. Les Chaouia n’aiment pas que leurs progénitures se frottent à la drogue et ses cousins.
Un avocat est constitué, Maître Mohamed Bouaïchaoui sera lundi vers dix heures dans la salle d’audience comme d’habitude pleine à craquer et où les familles des inculpés vous jetteront à la face qu’il n’y a pas de justice, ni d’investigations, rien, oualou!
Vers quatorze heures dix, après le carrousel du terrible duo Maître Lamouri et Maître Saïda Touati qui ont «avalé» Kaci, ce sympathique mais redouté président de la correctionnelle, Maître Bouaïchaoui s’avance, donne ses coordonnées au juge qui s’adresse sèchement à Abdenour F.
«Quel âge avez-vous?» «Vingt-huit ans, monsieur le président», répondit le détenu qui faisait visiblement plus, vu son impressionnant gabarit d’autant plus qu’il portait un tee-shirt blanc qui faisait ressortir deux bras, on ne vous dit pas et puis, bon, Allah le bénisse!
Le magistrat ôta momentanément sa paire de lunettes d’un ancien écrivain public de la cité des Genêts et lança: «Bien, bien. Le tribunal, ce tribunal précisément, adore écouter les inculpés qui disent la vérité. Et dans ce cas, il sera généreux et même indulgent. Alors, on commence? Que s’est-il passé dans la nuit du mercredi à jeudi 3 et 4 Ramadhan 1428?»
Fortement descendu par la détention préventive, le jeûne et les risques d’un sévère verdict car en prison on l’a alarmé: «Kaci? yalatif!»
Abdenour récite la version débitée en début de chronique en prenant le sérieux risque de répéter trois fois le fait que la boîte de vingt-quatre cachets de psychotropes avait été trouvée dans un périmètre éloigné de celui où les policiers l’avaient surpris. «Voilà! Nous vous avions prévenu. Nous voulons la vérité. Et alors?» grogne presque, mais sans s’énerver Kaci.
«Mais monsieur le président, c’est transcrit dans le procès-verbal de la police judiciaire!» pleure le détenu.
«Vous l’avez lu?» rétorque le juge probablement déstabilisé par la réponse de ce jeune chaoui: «Evidemment, je n’ai pas signé avant d’avoir lu et relu…» Puis comme pour se faire plus gros qu’une grenouille, Kaci jette dans un silence royal: «Et ce couteau de boucher trouvé sur vous?» «Je suis gardien de parking», marmonne le détenu. «Ce n’est pas une raison. Bon, madame la procureure vos demandes SVP.»
Le visage blême par la grossesse et le jeûne, Faïza Mousrati, cette belle et ambitieuse parquetière dit entre les mâchoires:
«Trois ans de prison ferme, une amende de vingt mille dinars et confiscation de tous les objets prohibés.»
Après quoi, Maître Bouaïchaoui va aborder sa plaidoirie accoudé à la barre en lançant une fleur à l’intention du juge qui aura l’occasion de montrer sa très belle dentition en marmonnant: «Le tribunal est vraiment ému par votre remarque.» En effet, on ne sait d’où il avait sorti ce compliment, l’avocat qui voulait dire à peu-près ceci en français: «Monsieur le président, depuis le début de cette audience, j’ai suivi avec plaisir vos débats marqués par une sérénité et un sens aigu de rendre justice, jamais rencontré auparavant.»
La trentaine d’avocats et de stagiaires ainsi que la dizaine de journalistes avaient tous apprécié ce que venait de réaliser Maître Bouaïchaoui: Il a détendu Kaci et ce n’est pas rien car ce juge voyait venir, outre les contraintes du jeûne, une fatigue tuante!
Plaidant peu mais juste, l’avocat qui revient de loin, à la suite d’un grave accident de circulation, le défenseur est allé droit au but: «Oui, monsieur le président, les cachets ont été trouvés sur l’étagère. Et la somme d’argent trouvée sur lui n’était que le fruit d’un travail éprouvant car vous connaissez les acrobaties des parkings», avait articulé le conseil qui a assuré le juge que seul le droit doit prévaloir et éviter les trois ans de prison ferme requis par la représentante du ministère public.
Ajoutez que Abdenour vient de Khenchela, qu’il a un casier judiciaire vierge et que le procès-verbal de la police judiciaire couvre entièrement le détenu. Abdenour est prié par le président de prononcer le dernier mot. Les larmes seules couleront sur ses joues car passer six nuits au «quatre HA» n’est jamais supportable.
Sur le siège et comme à la parade, Kaci va en étonner plus d’un et agir comme s’il voulait que ce Khencheli quitte Alger au plus tôt. C’est pourquoi, il inflige une peine de prison de dix-huit mois de prison assortis du sursis.
Le détenu souffle. Il se retourne et cherche des yeux sa soeur aînée Meriem F., laquelle n’a saisi que les dix-huit mois et pas le sursis. Ce sera l’avocat qui va la rassurer: «Votre frère est libre depuis trois minutes.» Quelle affaire de Ramadhan!
Les parents de l’inculpé libéré ont décidé de le reprendre dans les Aurès.
Abdellatif TOUALBIA