Zeroual : du 11.09 à la rumeur
11 septembre. La date est énorme et sa commémoration quasi universelle. Cet autre Pearl Harbour, qui brisa moralement l’Amérique à l’aube du XXIe, a produit une vague de conditionnement telle qu’elle fit passer au second plan les repères mémoriels des pays relégués à la périphérie de la marche du monde.
Parmi ceux-là, il faut évidemment citer le nôtre avec ses assassinats approximativement comptabilisés et ses péripéties de pouvoir qui ont souvent tourné au règlement de compte.
En effet, il y a dix ans, jours pour jour, Zeroual, alors président démocratiquement élu 34 mois auparavant, annonçait solennellement qu’il renonçait à sa charge. Dans le contexte de 1998, ce putsch de palais (… de caserne est plus convenable) n’étonna pas outre mesure les observateurs qui eurent à décrypter, les mois précédents, la féroce campagne de dénigrement ciblant l’entourage de ce général. Bien que coopté d’abord par ses pairs en janvier 1994 puis légitimé par un vaste mouvement d’opinion que les urnes traduisirent en plébiscite, Zeroual n’en demeura pas moins l’otage de l’aristocratie galonnée. C’était par conséquent au soir du 11septembre que la télévision officielle diffusera l’allocution rédigée avec minutie et pré-enregistrée.
Dans le pur style de la «théologie» des Soviets, pas un mot du texte ne devait trahir les véritables raisons de l’écourtement d’un mandat ni qui en étaient les maîtres de ce jeu. Contraint de prendre sur lui les conséquences d’une insoutenable vacance du pouvoir, il se réfugiera derrière le principe de l’alternance que, disait-il, «il souhaitait l’illustrer immédiatement » ! Mais comment l’opinion pouvait-elle croire à cette posture vertueuse qui lui changea d’avis en moins de 20 jours ?
Car le 20 août 1998, ce même général-président n’avait-il pas prononcé un discours musclé à travers lequel il avait justement tracé les lignes rouges de son action future ? Autant retenir l’hypothèse plausible d’un différend majeur qui l’aurait opposé à la hiérarchie des Tagarins et d’ailleurs jusqu’à le contraindre, par orgueil (peut-être), à partir dans des conditions inédites et troubles pour le pays. L’épisode du 11 septembre 1998, que l’on a fini par oublier, reprend cependant du sens ces jours-ci. La rumeur, justement, s’attelle à exhumer le nom de ce général jusqu’à en faire un candidat potentiel en 2009 (1). Evidemment, l’hypothèse n’a aucune consistance, sinon celle de fantasmer sur la nostalgie de «l’homme de la situation» jusqu’à le doter des avantages de la «providence». Parier sur un possible come-back est plus qu’hasardeux.
Une sorte de fonction à laquelle certains voudront y croire, le temps que l’ermite de Batna trouve gênants les solliciteurs. Zeroual candidat contre Bouteflika ? Un mauvais scénario politique, lequel, à la limite, conforte l’esprit du système lorsqu’il croit fournir un antidote au monachisme rampant qui caractérise l’actuel pouvoir. Car en quoi le retour aux affaires d’un Zeroual, même précédé d’une réputation d’intégrité, serait-il bénéfique au principe de l’alternance ?
Plaider pour un processus de succession qui remonterait l’horloge de l’histoire en ré- investissant un «ex», au prétexte que la désertification du champ politique ayant ouvert la voie à l’oligarchie n’est assurément pas la riposte convenable. Une alternance réduite à un jeu de fauteuils musicaux (comme on dit des chaises musicales) débouchera fatalement sur la pire des impasses pour le véritable combat démocratique. En somme, la quadrature du jeu en boucle quand l’équation des libertés publiques n’est soluble que dans l’ouverture. Curieuse confusion dans la quête des alternatives qui s’efforce de faire, du retour aux figures du passé et aux conditions antérieures, la source future d’une fumeuse croisade pour la démocratie. Cela dit, il y a quand même quelques raisons compréhensibles dans cet appel citoyen à une candidature de Zeroual.
Celles qui se résument d’abord dans la défiance vis-à-vis d’un pouvoir n’ayant pas tenu une seule promesse en dix ans et ensuite en la démonétisation de l’action des institutions de l’Etat. Le même ressentiment accable, par ailleurs, le personnel politique frileux par calcul et qui jusque-là ne sut se définir que par rapport à des intérêts de chapelle quand il lui fallait faire de la résistance démocratique son alpha et son oméga. Bref, pour oser une comparaison historique, ces citoyens pleins d’amertume et déboussolés rêvent de faire du général Zeroual notre général Boulanger (2), sauf qu’ils oublient comment l’aventure de celui-ci avait fini.
A ce que l’on sache, Zeroual et Bouteflika n’ont rien de commun et ne sont comparables sur aucun plan, sauf qu’ils incarnent l’un comme l’autre peu ou prou le système avec un grand «S». Et qu’ils lui doivent leurs trajectoires. Or agiter, comme un talisman, la candidature d’un «ex» pour exorciser le péril d’une reconduction hors la loi ne bonifie guère une démocratie qui ne peut désormais se passer impérativement de la rupture. Même si ce vocable est défraîchi, tant il a été galvaudé, il n’y en a pas d’autre pour exprimer la véritable urgence de ce pays.
En effet, proposer un tel challenge – un duel ? — ne ramènerait, dans le meilleur cas, le pays qu’a la configuration de 1998. Une négligeable perspective qui hésite à aller vers le solde de tout compte d’un mode opératoire qui a l’âge de notre indépendance. C’est d’une Constituante et d’une nouvelle République dont a besoin ce pays. En d’autres termes, chasser un système à travers un autre. Mais meilleur celui-ci…
Boubakeur Hamidechi
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2- Dans la France de la fin du XIXe siècle, le très populaire général Boulanger, ministre de la Guerre (Zeroual fut également ministre de la Défense de juillet 1992 à décembre 1993), regroupa les mécontents et fut élu triomphalement. Cependant, il hésita devant un coup d’Etat (1889) et renonça pitoyablement à son mandat.