LA NOUVELLE MÉDITERRANÉE
Comme dans les bons livres scolaires ou dans les bons livres d’histoire, la Méditerranée redevient le centre du Vieux-Monde. Tout provenait de son Orient, les religions comme la philosophie, la géométrie ou l’arithmétique comme l’alphabet. Toutes les sources de la pensée de ce Vieux-Monde et surtout cette première grande division en monde civilisé et en monde des barbares, c’est-à-dire nous.
Et tout passait par elle, les routes commerciales comme l’accès aux fabuleuses contrées asiatiques, les grandes transmissions de la pensée et les pires pillages, les grands moments de controverses et les Croisades qui finirent pas préférer Damas à Jérusalem. Et tout finissait parfois en elle dans les guerres, les révoltes, les insurrections, le fracas des civilisations vaincues militairement ou dégénérescentes sous le poids conjugué des crises financières et des révoltes des peuples.
Belle Méditerranée pour les lecteurs et pour les touristes, terrible mer pour ses riverains et ses peuples —n’est-ce pas ô nos ancêtres insurgés contre Rome et ô nos pères insurgés contre la France ? — mer mythique des rêveurs sur les traces de l’utopique recherche d’Europe par son frère Cadmos. Ce n’est que par une paradoxale justice, qu’aujourd’hui, cette Europe veuille s’en assurer, s’assurer de ses terribles insurrections et des enfantements dont elle est capable.
Rome est aussi tombée par le message de Jésus et l’Europe n’a revu des lumières que les traductions et les inventions de l’Islam andalou et cette mer a longtemps résisté aux sirènes de la haine raciale portée par les états-nations européens vers des peuples qui se déchiraient dans des guerres mais qui croyaient aux religions pas aux races.
Quel hommage que demain la lointaine Pologne discute de notre avenir et de nos projets et quel hommage que Vienne, en souvenir des Turcs, nous invite à collaborer à la sécurité de l’Europe. De leur lointain paradis, Massinissa, Jugurtha, Syphax doivent s’étonner que les bruits des colonnes d’Hercule soient remontés si loin au nord et nous attendrons des Irlandais inspirer les bons conseils pour l’avenir de nos enfants.
Pourquoi pas, puisque l’Angleterre a déjà marqué si profondément le destin de l’Egypte et du Moyen-Orient et que dans les registres de l’Etat d’Israël s’inscrivent des noms russes, hongrois, autrichiens ou ukrainiens ? Face à une telle reconnaissance et dans une telle cohue, entre les anciens maîtres qui reviennent et leurs domestiques locaux, il ne nous reste plus qu’à maintenir nos propres noms. L’affaire sera rude, mais nous en avons l’habitude, n’est-ce pas ?
MOHAMED BOUHAMIDI