Chauds débats
Mes proches, c’est-à-dire ceux qui me connaissent un peu, collègues ou parents, me reprochent souvent de m’intéresser à des futilités ou à ce qui ne me regarde pas. C’est une déformation culturelle due certainement à un goût prononcé pour les auteurs surréalistes qui passaient le plus clair de leur temps à l’obscurcir, comme disait l’autre et à faire faire aux mots des acrobaties dont ils n’avaient nul besoin.
En clair, mes proches m’en veulent de m’intéresser aux questions qui ne rapportent pas le sou, «sans intérêt» est le terme approprié dans une société où la majorité des gens s’entraîne dans ce noble sport non olympique, qui consiste à essayer de ramasser le maximum d’argent par tous les moyens, catholiques, cathodiques et autres.
Tout cela parce que j’ai clamé haut ma déception quand le porte-parole du gouvernement, source autorisée s’il en est, affirme que la révision constitutionnelle n’est pas à l’ordre du jour. Quelle déception: non pas que j’en veuille personnellement à la loi fondamentale léguée par Liamine Zeroual à qui il faut tirer le chapeau sans claquer des talons et qu’il faut saluer bien bas pour son détachement vis-à-vis du «koursi», mais je regrette simplement l’atmosphère que créeront les débats passionnés au sujet du nouveau texte qui sera soumis à référendum.
J’ai perdu tout souvenir de la Constitution de 1963 qui fut adoptée en catimini dans un cinéma du Grand-Alger et de sa ratification par une Assemblée désertée par les ténors de la démocratie mort-née. Je ne me souviens pas non plus des débats organisés par le parti unique pour la Charte d’Alger de 1964 qui fut adoptée par un pays mis au pas.
Cette Charte aura la vie plus longue que la Constitution de 1963 qui expira un 19 juin 1965, mais elle tomba en désuétude au lendemain des mesures portant sur la Révolution agraire.
Ces mesures amèneront de chauds débats dans les entreprises et dans les instances du parti unique: les espoirs les plus fous poussèrent les travailleurs soumis à une intense propagande à faire des propositions pour le succès de la réforme (ou révolution) agraire et pour la Gestion socialiste des entreprises.
C’était la période où de généreux donateurs faisaient la publicité de leurs dons de lots de terrains pour le Fonds de la Révolution agraire. En tous cas, le débat exista. Cette nouvelle Charte fut révisée en catimini, c’est-à-dire pendant la période des grosses chaleurs et des congés payés, quand le régime commençait à clignoter dangereusement à droite et à faire de douloureuses révisions en ce qui concerne certains acquis.
C’était l’époque bénie de Chadli et Messaâdia. Depuis, les débats cessèrent et les électeurs blasés commencèrent à bouder les urnes ou les discussions oiseuses.
Mais à présent qu’il y a une certaine liberté de presse (à condition de ne pas dénoncer les pratiques mafieuses comme Beliardouh, ou à parler des dilapidations foncières), un débat sur un nouveau texte constitutionnel ne peut que générer un approfondissement de la démocratie dans un pays où les armes ne se sont pas encore tues.
Selim M’SILI