La relance ne profite qu’aux étrangers

La région Meda se normalise en s’insérant dans la globalisation économique. C’est ce que confirme la toute récente étude de l’observatoire des investissements en Méditerranée (*). La région a enregistré 24 milliards d’IDE en 2007 dont le tiers est représenté par le rachat du cimentier français Lafarge par l’égyptien Orascom. A cette exception près, la région demeure la chasse gardée des pays du Golfe (22% des IDE) et des Etats-Unis (pour une même proportion) ; l’Europe se contentant de la portion congrue de 3% et préférant s’investir dans l’espace économique des nouveaux membres d’Europe de l’Est.

En 2007, notre pays a reçu 5,3 milliards d’euros en IDE, contre 2,4 en 2006. C’est la rançon de ses efforts en matière de développement des infrastructures et de modernisation de son appareil industriel. La bonne nouvelle vient de ce que le flux de capitaux étrangers est, pour la première fois, et pour l’essentiel, domicilié hors du secteur de l’énergie (1,5 milliard d’euros). La métallurgie (1,6 milliard d’euros), la chimie (746 millions de dollars investis par l’égyptien Orascom dans Sofert — une société mixte créée avec Sonatrach pour gérer une usine d’engrais), le BTP (638 millions d’euros) sont les principales branches investies. L’Europe reste le plus grand prétendant au marché algérien avec 62 projets d’IDE sur un total de 111.

Ses entreprises opèrent dans les matériaux de construction (l’allemand Knauf et le français Saint-Gobain pour le plâtre), le secteur des machines et équipements mécaniques (avec l’arrivée en force des PME françaises Boccard, Trévise et MLI), le BTP (13 projets) et les banques (8 projets). La BNP a ainsi injecté un milliard de dinars dans sa filiale locale. Par ailleurs, anticipant les dispositions du décret exécutif publié au Journal officiel du 30 mars 2008, BNP Paribas a signé, dès le 25 mars, via sa filiale assurance Cardif, un accord avec la Cnep qui prendra plus tard la forme d’une filiale commune entre les deux sociétés pour la distribution à travers le réseau de la Cnep- Banque (206 agences réparties à travers le pays pour plus de 3 millions de clients) de l’ensemble des produits d’assurance vie, d’épargne et de protection conçus par Cardif El- Djazaïr.

Pour rappel, aux termes du texte en question, le taux maximum de participation d’une banque ou d’un établissement financier dans le capital social d’une société d’assurance et/ou de réassurance est fixé à 15% du capital social de la société d’assurance et/ou de réassurance. L’installation de Total à Arzew marque également le retour des Français dans l’énergie. Les Emiratis affichent également une certaine frénésie avec un total de 12 projets d’une valeur de 1,5 milliard d’euros. Leurs secteurs de prédilection sont l’immobilier, la métallurgie et l’alimentaire. Ils sont talonnés par les Saoudiens, plutôt intéressés par le tourisme et l’agro-alimentaire.

Savola entend ainsi investir 140 millions d’euros pour une raffinerie de sucre d’un million de tonnes à Oran. L’immobilier, les transports et les services délégués offrent par ailleurs des perspectives inédites avec les 2,9 milliards d’euros que l’émirati Emmar entend investir dans un complexe touristique à Colonel-Abbas, à l’ouest d’Alger, les 1 501 millions de dollars que le singapourien Portek compte placer dans de nouvelles plateformes logistiques portuaires et le rachat de 49% de International BULK Carriers (IBC), une filiale de la Cnan, par le saoudien Pharaon-CTI.

La Tunisie (métallurgie, textiles et médicaments) et le Liban (banques) tiennent aussi à figurer parmi les nouveaux prétendants au partage du marché. Située en amont des grands projets du BTP, de l’hydraulique et des transports, la sidérurgie attire beaucoup de capitaux arabes : le vieux projet sidérurgique de Jijel (initialement prévu pour les aciers spéciaux) est réactivé par l’égyptien El Ezz pour 1,25 milliard de dollars, une usine d’aluminium est prévue dans la banlieue d’Alger par Profiles Aluminium, filiale du groupe tunisien Bayahi qui investit 31 millions d’euros, une usine de composants métalliques est projetée par Orascom à 45 km d’Arzew pour 18 millions d’euros.

L’étude souligne par ailleurs une forte croissance des partenariats publics privés, particulièrement en zones urbaines : la construction et la gestion en BOT d’une usine de dessalement à Mostaganem et à Cap Djinet par le consortium espagnol Inima- Aqualia pour 67 millions d’euros, l’acquisition de 51% de l’usine de dessalement de Fouka par SNC Lavalin et Acciona, la détention de la même part de capital d’une usine de dessalement construite à Tlemcen pour 2 054 millions d’euros par le malaisien Malakoff et le singapourien Hyflux, la création et la gestion d’une station d’épuration d’une valeur de 10,4 millions d’euros à Aïn Béïda par le singapourien Keppel.

La relance du secteur touristique (3% du PIB en 2015) et le projet de privatisation de 100 entreprises publiques en 2008 doivent accroître ce flux d’IDE en Algérie dans des secteurs habituellement désertés par les étrangers. Toutefois, la privatisation et la réforme des banques demeurent les pierres d’achoppement de l’ensemble de l’ajustement structurel et de la restauration du climat des affaires et, encore une fois, les intentions affichées, et encore moins l’instrumentation juridique mise en œuvre, sont insuffisants pour provoquer localement la «bascule» qu’évoque le titre du rapport.

La privatisation attend depuis l’ordonnance 01- 04 du 20 août 2001 relative à l’organisation, la gestion et la privatisation des EPE. Huit ans pour trouver preneur à un tissu industriel réduit en lambeaux par un déficit de gestion, des parrainages mafieux, des équipements obsolètes, etc. Le secteur public coûte trop cher à l’Etat et il n’est pas près de s’extraire de ses sables mouvants : le montant de son endettement équivaut son chiffre d’affaires annuel estimé à 630 milliards de dinars, soit 7,1 milliards de dollars. A ce jour, la valeur totale de cession de ses entreprises lui a rapporté 18 milliards de dinars ! (**).

Le tonneau des danaïdes ! Dans ces conditions, se désengager, quel qu’en soit le prix, revient à arrêter l’hémorragie. Il reste naturellement à connaître le coût social de cet «abandon de famille» et à arrimer aux efforts pharaoniques d’investissements en infrastructures des pôles industriels nouveaux. Placées sous tutelle du ministère des Finances, les banques publiques font aujourd’hui office de «hauteurs dominantes» de l’économie. Les plans de restructuration qui leur sont réservés indiquent une ouverture progressive (une banque après l’autre) de leur capital.

Qu’est-ce qui fait motiver les investisseurs étrangers ? Pourquoi les nationaux sont-ils plus réservés ? L’investissement étranger n’est-il pas trop problématique ? Ne faut-il pas, au contraire, provoquer à l’échelon local, pour parler keynesien, une véritable «euthanasie des rentiers» qui favorise la mobilisation de l’épargne au détriment de la thésaurisation et, au delà, de la spéculation ? Pourquoi un pays de plus en plus attractif pour les capitaux étrangers néglige ses propres entrepreneurs ?

Ce ne sont pourtant pas les intentions qui font défaut. Les nationaux totalisent 78% du montant global des projets inscrits et 98% du nombre total des projets déclarés auprès de l’Andi depuis 2002 jusqu’à fin 2007. Cependant, la confiance des investisseurs reste toute relative. Le nombre de projets réalisés et entrés en activité ne représente que 35% de la totalité des projets inscrits auprès de cette agence, pour l’équivalent de 20 milliards de dollars seulement.

Ammar Belhimer

(*) Anima Investment Network, Investissement direct étranger vers Meda en 2007 : La bascule, Etude n° 1, réalisée par Pierre Henry, Samir Abdelkrim, Bénédict de Saint-Laurent, mai 2008.

(**) Nachida Bouzidi, Les réformes économiques en Algérie : ajustement structurel et nouveau rôle de l’Etat, in Revue algérienne, n° 02/2007.

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