L’ENTREPRISE DU FUTUR
L’édition 2008 du «Global CEO study» d’IBM tire le portrait de l’entreprise de demain Enterprise of the Future) : elle dévoile une entreprise globalisée, qui cherche à nouer de nombreux partenariats, dans une entreprise globalisée avec des clients toujours plus informés. Quelles sont les priorités des chefs d’entreprises et les tendances à venir en matière d’entreprenariat pour les deux prochaines années ? C’est ce qu’a cherché à savoir IBM dans la troisième édition de son document de référence Global CEO study», publié tous les deux ans.
«Global CEO study» (*) s’appuie sur les témoignages de 1130 P-dg et dirigeants dans 40 pays dans le monde. Elle est l’œuvre d’experts en entreprises d’IBM Global Business Services, un réseau qui couvre plus de 170 pays et fournit des expertises dans 17 secteurs. Changement, imagination, anticipation, sur fond de partenariats et de globalisation sont les nouvelles donnes du moment. Soif de changement : l’entreprise de l’avenir doit être capable de se mouvoir rapidement et avec succès.
Bien plus que de se contenter de répondre à l’évolution des marchés et de la concurrence, elle les anticipe et les conduit. Première grande observation des dirigeants interrogés, la permanence du changement : 80% d’entre eux pensent que leur organisation rencontrera des «changements significatifs» à l’avenir. Il y a deux ans, les deux tiers des chefs d’entreprises projetaient de se heurter à des changements importants ou substantiels au cours des trois prochaines années. Ils sont plus nombreux aujourd’hui (les quatre cinquièmes) à attendre ce bouleversement.
Aveu d’impuissance ? Ils sont 22 % à craindre ne pas être capables de gérer le changement qu’ils perçoivent. Un chiffre qui a presque triplé depuis 2006. En 2008, l’étude des pratiques de gestion du changement révèle que 75% des entreprises interrogées avouent que leur démarche reste généralement informelle, occasionnelle ou improvisée. Les nouveaux défis, aussi fulgurants qu’étendus, sont porteurs de risques et d’incertitudes pour tous.
Quels sont-ils ? En 2004, les préoccupations portaient sur les facteurs liés aux tendances et fluctuations du marché, à la clientèle et à la concurrence ; les autres facteurs externes — socioéconomiques, géopolitiques et environnementaux — avaient été considérés comme étant moins critiques. Ces préoccupations requièrent aujourd’hui deux fois plus d’attention. Dans l’ensemble, les chefs d’entreprises disent avoir les yeux rivés sur trois pesanteurs : les tendances du marché, les compétences humaines et la technologie. «Il est clair que la capacité d’évoluer rapidement et avec succès est plus critique que jamais», conclut l’étude sur ce premier point.
«En revanche, l’entreprise de l’avenir définit et gère les changements par des programmes solides, structurés et axés sur des métiers définis (…) Elle gère activement un portefeuille de placements, protège et accompagne les idées novatrices, tout en procédant au désherbage systématique des maillons les plus faibles». Deuxième constat : pratiquement tous les répondants affirment adapter leur business model, notamment en rendant (pour 40%) leur entreprise plus «collaborative ». Notion qui s’étend à l’extérieur de l’entreprise avec la recherche active de partenariats.
Quatre-vingt-cinq pour cent des chefs d’entreprises, toutes tailles confondues, le pensent et plus de la moitié envisagent de le faire en profondeur, parce qu’ils considèrent que le partenariat est une source de précieux talents et que «la conquête d’un nouveau marché stratégique passe par l’accès aux compétences locales». Troisième enseignement : le consommateur émerge comme un acteur à part entière : il devient plus cher à attirer et fidéliser.
Selon l’étude, 36% des entreprises surperformantes de l’échantillon (à la performance économique supérieure à la moyenne des autres entreprises du secteur) ont accru les investissements liés à leurs clients qu‘ils voient non «comme une menace mais comme l’occasion de faire la différence ». «Les clients ont maintenant beaucoup plus de sources d’information et l’entreprise n’a plus le dernier mot. Dans une enquête récente auprès de 1 000 consommateurs de détail, 53% ont déclaré avoir utilisé internet pour comparer les caractéristiques du produit et les prix - 25% l’ont fait à partir d’un appareil mobile (…) Avec le milliard d’utilisateurs d’internet, les clients peuvent faire connaître leurs attentes et échanger leur appréciation dans le monde entier.»
Une situation inédite qui «peut être à la fois une menace et une opportunité» et contraint les entreprises à recourir davantage et plus vite que leurs concurrents au «marché des idées». Autre changement de taille : la notion de «globalisation » est à présent prise en compte par les entreprises et intégrée dans leur fonctionnement. Une évolution qui permet d’avoir accès à l’expertise, aux ressources ou aux débouchés commerciaux là où ils se trouvent.
Dans un monde de plus en plus connecté et accessible, les chefs d’entreprises sont enclins à passer du point de vue traditionnel de la mondialisation à une nouvelle orientation : l’intégration mondiale. Ils travaillent donc à «recalibrer» leurs modèles d’affaires dans ce sens. Un modèle qui passe nécessairement par les compétences locales. En effet, 66% des chefs de la direction envisagent d’utiliser les fusions et acquisitions dans le cadre de leurs stratégies d’intégration. Le moyen d’y parvenir ?
Par exemple, les marques et les produits doivent avoir un intérêt local. Il s’agit de «localiser les caractéristiques selon les goûts locaux» et de fabriquer localement les produits lourds, encombrants, voire impossibles à transporter, tout en conservant des plateformes mondiales de produits et services qui procurent des économies d’échelle. Cette combinaison passe par une culture commune d’entreprise qui autorise des hommes de différentes cultures et de différents pays à travailler efficacement ensemble. Ici, le centre de décision est localisé en fonction du marché et des besoins opérationnels, et non dicté par des actes de propriété ou des accords restrictifs de crédit-bail.
Les innovations portent pour l’essentiel, dans neuf cas sur dix, sur le produit, le service et la valeur ; elles visent dans la moitié des cas les nouvelles structures de prix. Cette stratégie est particulièrement bien adaptée aux marchés émergents, comme la Chine et l’Inde, où les consommateurs offrent un large éventail de revenus. Plus difficile à dire qu’à faire, reconnaissent les managers, qui axent leurs modèles d’innovations davantage sur la redéfinition des industries existantes (73%) que sur la création de nouveaux produits (36%).
En terminant la lecture des 79 pages du document, le réflexe «patriotique primaire » qui sied aux hommes de notre génération suscite cette question récurrente et inévitable : quid encore une fois de nos entreprises ? Et, là, honnêtement, sans partipris aucun, on se dit que les actions, concrètes et modestement suivies, de mise à niveau de Mostefa Benbada, le ministre de la PME et de l’Artisanat, sont plus proches de l’esprit de l’étude de la prestigieuse institution d’IBM que la «stratégie industrielle» sans cesse renouvelée tambour battant, plus théorique que programmatique, de son homologue de la participation et de la privatisation, Abdelhamid Temmar.
Ammar Belhimer
(*) Enterprise of the Future, IBM, Global CEO Studies, 79 pages, New York, mai 2008.