SCÉNARIO POUR “SEPTENNAT” SANS NOM

L’incurie est totale au sommet de l’Etat. Un laisser-aller qui alimente le malaise général et pousse des ministres à dire, faire et commettre n’importe quoi. Dans des registres différents mais sur deux sujets aussi fâcheux l’un que l’autre, certains viennent de s’illustrer par des couacs, lesquels vont, une fois de plus, écorner l’image, déjà détériorée, de l’exécutif. Haïchour et Djiar, chargés respectivement de la télécommunication et du sport, sont au centre de révélations polémiques au moment où le chef de l’Etat et son fusible ont choisi le repli silencieux.

A travers ces godiches, parmi tous les godillots du gouvernement, surpris par la soudaine mise en lumière de leurs pratiques et leurs aveux, ne faut-il pas conclure que cette gouvernance possède non seulement un côté sombre mais aussi une curieuse indiscipline ? Cela ne signifie-t-il pas qu’il n’y a plus de navire -amiral indiquant le cap ?

Entendons par là les objectifs que se fixe le pouvoir en termes de propagande. Autant du côté du ministre des P et TIC, l’affaire du limogeage d’un haut fonctionnaire apparaît dans ses aspects les plus sulfureux ; autant la péroraison de celui qui a la charge du sport prend étonnamment le contre-pied (sans jeu de mots des stades) de la stratégie de communication du président au moment où il ne faut parler que des succès. En clair, nous sommes bel et bien en face d’une tragi-comique cacophonie dont il est difficile de croire qu’elle n’est pas volontairement souhaitée par la chefferie, en parfait accord avec la présidence. Le binôme Bouteflika- Belkhadem qui ne s’est pas retrouvé, depuis des mois, en Conseil des ministres, ne doit-il pas à l’opinion de ce pays quelques explications ? La panne qui caractérise l’action gouvernementale n’est-elle pas imputable à l’absence d’évaluation ponctuelle dont le cadre idoine demeure le «Con-seil des mi-nis-tres» ?

C’est à travers celui-ci que se consolident les synergies sectorielles et que se corrigent les erreurs de parcours. Et ce sont ces coutumes qui ont fait leurs preuves dans n’importe quel régime que l’on a délaissé sous le nôtre. Sans boussoles fiables, nos ministres vaquent à leur mission avec de vagues feuilles de route de temps en temps «actualisées» à l’humeur. Rituellement, un conseil de gouvernement se réunit mais rarement au complet et dont le «coordinateur» (Belkhadem s’est lui-même qualifié ainsi) est fortement contesté. En guise de méthode, il n’y a que des mécanismes intersectoriels totalement grippés jusqu’à générer des chevauchements de prérogatives.

Enfin, la surpolitisation des actes d’intendance n’a-t-elle pas fini par aggraver la tendance du clanisme ? Voilà les quatre tares d’une gouvernance définitivement discréditée parce que justement elle en traîne quatre de trop. En face, ou plutôt dans la cime de l’exécutif, que fait le président de la République quand, régulièrement, lui parviennent des rapports alarmants ? En apparence, il laisse faire et surtout il s’abstient de faire le grand ménage. Il est vrai qu’à 11 mois de la fin d’une magistrature, il n’est jamais ingénieux politiquement de mettre la main dans le cambouis de la gestion.

En laissant à ceux qu’il a désignés le soin de se salir jusqu’aux coudes dans les bilans désastreux, il s’affranchit subtilement de l’exercice des résultats afin de se présenter à nouveau comme un arbitre au-dessus des contingences et dont les obligations sont celles d’incarner uniquement la nation, l’Etat et la Constitution. Ce souverainisme excessif qui vise à découpler le «temps présidentiel» de celui des cabinets ministériels — quelle que soit la longévité accordée à ceux-là, pourrait justement servir à la singulière plaidoirie que l’on prépare pour justifier certains amendements de la Constitution. C’est donc le contexte qui dicte l’actuelle prudence à ne rien réaménager, voire l’indifférence devant les multiple dérapages des ministres.

Car les fusibles ne servent pas seulement à sauter en cas de mécontentement, ils peuvent, par ailleurs, se révéler efficaces pour focaliser sur eux la critique et l’absorber afin de ne pas être soi-même impliqué, éclaboussé. Les réseaux qu’il a mis en place au lendemain de sa première investiture et que l’on a appelés «Alliance présidentielle » répondent tout à fait à ce qu’il désire accomplir prochainement. Ils constituent toujours le réservoir en personnel politique dont il a besoin.

En effet, depuis les péripéties d’un Benflis, qui se révéla n’être qu’un piètre stratège et un analyste approximatif du système, le président ne coupe plus les têtes. Il se contente intelligemment de les mettre au congélateur pour des usages futurs. Ouyahia, dont la disgrâce momentanée a été orchestrée par son successeur issu du FLN, a saisi finement la mutation qui s’est opérée chez le chef de l’Etat. Il savait bien qu’il pourrait revenir dans le jeu du sérail pour peu qu’il accepte provisoirement son sort sans broncher. La même règle vaut également pour Belkhadem.

Celui que toutes les critiques accablent n’est, paradoxalement, pas déstabilisé dans ses relations avec le chef de l’Etat tant qu’il lui sert de tampon et de souffre-douleur auprès de l’opinion. Il s’en accommode évidemment et continue à aller au charbon en connaissance de cause et d’intérêts. Celle qui le rassure, comme tant d’autres d’ailleurs, que la guillotine politique ne fonctionne jamais dans la cour du premier cercle. Là où l’immunité octroyée comme une charge régalienne permet de ne rendre compte à nulle institution et encore moins aux administrés de ce pays.

Quant aux ministres gaffeurs qui font les choux gras de la presse, ils bénéficient de quelques protections de clans auxquels ils appartiennent dans la mesure où ils savent cultiver l’omerta — ce qu’ils appellent abusivement : l’obligation de réserve ! Haïchour apparatchik biberonné par le parti unique peut encore compter sur Belkhadem, aujourd’hui son mentor et jadis son compagnon de route. Djiar également n’est pas en reste de connivence. Ex-wali «placardé» au milieu des années 1990, il ne doit sa résurrection qu’à la faveur de l’entourage de Bouteflika en 1999.

Conseillé et communicant du chef de l’Etat à El-Mouradia, il n’est pas étonnant qu’il continue à avoir ses entrées dans cette maison. Autant d’indications qui soulignent que les dépassements ou la maladresse ne sont pas forcément passibles de sanctions. Car l’impunité politique n’est plus considérée comme une détestable dérive du laxisme ambiant mais l’étalon de la fidélité et le gage de la stabilité de «son» personnel en perspective des campagnes futures.

Contrairement aux idées reçues, le bouteflikisme a cessé d’être une humeur imprévisible. Il s’est non seulement assagi, en quelque sorte, mais est devenu une redoutable machine à calculer ses coups. En poussant la logique de «l’ingouvernabilité», il n’est pas politiquement suicidaire mais efficacement agissant dans le sens du but à atteindre. Quand les affaires publiques sont affectées par le désordre des intendants, il ne reste au gardien des lois qu’à prendre le décret qu’il faut. Celui d’ajourner un rendez-vous électoral et d’enfanter un septennat sans le nommer. Scénario insensé ? Il ne faut jurer de rien.

Boubakeur Hamidechi

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