Grave déficit de légistique

La loi 07-11 du 25 novembre 2007 portant système comptable financier est une parfaite illustration du vent de précipitation qui souffle sur le secteur économique. Venant abroger (donc se substituer à) l’ordonnance n° 75-35 du 29 avril 1945 portant plan comptable national, elle fait obligation et astreint donc à la tenue d’une comptabilité financière «les entités soumises aux dispositions du code de commerce, les coopératives, les personnes physiques ou morales produisant des biens ou des services marchands ou non marchands dans la mesure où elles exercent des activités économiques qui se fondent sur des actes répétitifs et toutes autres personnes physiques ou morales qui sont assujetties par voie légale ou réglementaire» (art. 4). Autant dire : tout le monde.

A l’exception expresse des «personnes morales soumises aux règles de la comptabilité publique» (art. 2) et des «petites entités dont le chiffre d’affaires, l’effectif et l’activité ne dépassent pas des seuils déterminés » (art. 5) qui restent d’ailleurs à déterminer. Ces dernières ne sont tenues qu’à une comptabilité financière simplifiée. Le système comptable financier (SCF) qui succède au plan comptable national (PCN) de 1975 entre en vigueur à compter du 1er janvier prochain. C’est-à-dire demain. Au risque de faire mentir le premier magistrat du pays, toutes les entreprises, sans distinction de statut, sont supposées être déjà prêtes pour cette migration vers un nouveau monde dans huit mois au plus tard.

Tant d’indices réunis montrent qu’il reste beaucoup à faire en matière de légistique, une discipline que les «nouveaux juristes» chérissent tant et sur laquelle il n’est pas inintéressant de revenir. La transition vers le nouveau régime comptable est d’autant plus révolutionnaire, et donc ardue, qu’elle ne s’accommode pas d’une vision simpliste et réductrice de changement d’intitulés et de nomenclature et ou d’adoption d’un tableau de correspondance de numéros ou intitulés de comptes enregistrant des transactions. Elle implique davantage un changement d’attitude qui concerne toutes les entités et structures de l’entité et non plus le seul comptable.

Les nouvelles règles sont plus nombreuses et plus complexes ; elles affectent le vocabulaire et le référentiel. Les normes internationales d’information financière ou IFRS (de l’anglais International Financial Reporting Standards) en question datent de 2005 seulement. Elles traduisent le souci des pouvoirs publics de rétablir la confiance des épargnants et des investisseurs après les scandales financiers du début du siècle. Il s’agit de se prémunir de la manipulation de l’information par les grosses entreprises, souvent multinationales, et de protéger leur environnement. Elles introduisent la prééminence de l’économique sur le juridique (les comptes doivent donner une image fidèle de l’entreprise et de son patrimoine).

La philosophie générale est de passer d’une construction d’inspiration juridique, fiscale et réglementaire à une présentation financière. Autrement dit, de faire prévaloir le fond sur la forme. L’intention est même clairement édictée par la nouvelle loi puisque le cadre conceptuel de la comptabilité financière, les normes comptables et la nomenclature des comptes qui forment le nouveau système concourent à assurer : «comptabilité d’engagement, continuité d’exploitation, intelligibilité, pertinence, fiabilité, comparabilité, coût historique, prééminence de la réalité économique sur l’apparence juridique » (art. 6).

Ce sont, mot pour mot, les caractéristiques qualitatives des états financiers prescrits par l’International Accounting Standards Board (le Conseil des normes comptables internationales) (IASB) qui a pour objectifs statutaires «d’élaborer, dans l’intérêt général, un jeu compréhensible et que l’on puisse fournir dans les états financiers une information de haute qualité, transparente et comparable sur les marchés de capitaux». C’est exactement le langage que tient tout investisseur ou candidat à l’acquisition d’actions d’entreprises cotées en Bourse, soucieux de disposer de la bonne information sur la «marchandise» qu’il convoite. L’information stratégique qui va compléter les tableaux financiers est de nature qualitative, elle est utile à la prise de décision par les utilisateurs privilégiés que sont donc principalement les investisseurs à risque.

Aux approches anciennes, fondées sur les capitaux propres, patrimoniales et rétrospectives dans les écritures succèdent de nouvelles approches fondées sur la prospective. En Europe, seules les entreprises structurées, disposant d’entités comptables étoffées, livrent des bilans consolidés. Il y va de leur présence réussie en Bourse où elles doivent lever des fonds. Autant dire qu’il aurait été plus judicieux d’opter pour une introduction graduée, avec des paliers d’IFRS simplifiée pour les PME, si tant est qu’elles soient cotées en Bourse.

Ce qui n’est pas le cas. De toute évidence, faute d’un marché financier associant épargnants, investisseurs et entreprises ou à moins d’intentions inavouées, notamment liées à d’éventuelles privatisations au forceps, c’est toute l’opportunité (sans parler de son effectivité) du texte qui est en cause. Dans nos entreprises, publiques comme privées, le comptable aurait été remisé aux caves s’il n’avait pas eu le pouvoir de tenir pour partie les états fiscaux. Ce qui en fait, en règle générale, le seul maître à bord. Par ailleurs, l’IFRS est déjà dépassé ailleurs où de nouvelles normes doivent entrer en vigueur en janvier 2009. Là aussi, il semble qu’il est vain de vouloir rattraper «du retard» ; il suffit de faire bien, au bon rythme, d’être un bon consommateur de normes comptables pour peu qu’elles ne génèrent pas de diarrhées.

Quid, en effet, de l’organe de normalisation (sorte de Conseil national de la comptabilité qui supervise et accompagne la mise en place et le respect des normes) ? A défaut, ne faut-il pas avoir le courage d’édicter que toute norme approuvée à l’international fait partie du corpus juridique comptable national ? Une loi ne vaut que par son application et il faut prendre garde d’édicter des textes qui restent sans suite. Il y va de l’effectivité des lois, de la crédibilité de leur émetteur et, audelà, de tout l’Etat. Le droit ne se définit-il pas aussi par la sanction et, bien plus, par l’applicabilité de la sanction ? C’est ici que s’exprime mieux le grave déficit de légistique que nous soulignons.

Par cette expression, les juristes désignent «une “science” (science appliquée) de la législation, qui cherche à déterminer les meilleures modalités d’élaboration, de rédaction, d’édiction et d’application des normes». L’idée est d’assurer l’élaboration de lois mieux adaptées, mieux acceptées, et donc mieux appliquées. A défaut, c’est la porte ouverte au rejet, par intérêt ou par ignorance. Parce qu’une certaine idée, même illusoire, que le respect de la loi est le corollaire d’une certaine idée de la démocratie, on ne peut faire impunément l’impasse sur les aspects séquentiels.

Il ne suffit pas à un système juridique d’être bien intentionné ; encore faut-il qu’il fonctionne en tant que tel. «Du côté des détenteurs du pouvoir, les risques sont : d’une part, ils peuvent surestimer la vertu opérative de la seule affirmation juridique : la loi ne peut pas tout si les conditions sont telles que l’on ne peut en imposer l’application, soit que les obstacles soient trop forts, soit que le soutien soit trop faible.» Le réflexe de rejet, de protestation, ne l’emporte-t-il pas lorsque l’on ne maîtrise pas ?

«A l’inverse, la sous-estimation de la caution juridique peut amener le pouvoir à prendre des raccourcis autoritaires qui peuvent créer des situations de rupture dommageables au crédit même des forces dirigeantes»(*). Ces appréhensions n’entachent en rien le mérite qui revient de droit à certains pôles d’excellence, des oasis d’initiation aux nouvelles règles, à l’image de VIP Groupe qui, sous l’impulsion de Omar Zabbar, réussit actuellement la prouesse de monter des formations approfondies et de qualité en direction du personnel dirigeant des entreprises.

Ammar Belhimer

(*) Monique et Roland Weyl, Révolution et perspectives du droit, p. 135.

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