Les vieux démons du tribalisme
Les affrontements de Berriane, qui en sont à leur seconde édition, n’appellent-ils donc pas d’autre réponse que celle de l’inonder de provisions ? La question de savoir pourquoi un pétard a pu provoquer un choc intercommunautaire mérite d’être posée.
Cela permettra de comprendre peut-être pourquoi les Algériens, indépendants depuis un demi-siècle, et dont les pouvoirs successifs n’ont cessé de “consolider l’État”, s’expriment de plus en plus par la voix de la tribu ?
Le soubassement tribal de la société algérienne constitue une réalité historique. Aussi bien que le pouvoir ottoman s’adressait à la société en tant que constellation de tribus. Mais la résistance à la colonisation, même si elle fut d’abord une résistance de tribus, avait fini par s’organiser et par asseoir dans l’action une unité de nation.
Malheureusement, il s’avère que ce qui peut être imposé institutionnellement ne peut pas toujours être imprimé dans l’esprit. Ce sont les garants de la primauté de la nation sur la tribu qui détournèrent l’attribut de l’État-nation au profit de la tribu. En fonction des rapports de force et des alliances fluctuantes, l’État est asservi aux besoins des clans.
Visiblement, la tribu n’est plus ce qu’elle était : une entité sociale identifiée, organisée dans son système de pouvoir, dans ses rapports et dans son économie.
Mais la culture de la tribu subsiste. L’indépendance et la construction de l’État national ont été accompagnées et contrariées par une résistance forcenée à la modernité. On peut observer le constat dans l’engagement de l’Algérien quand il agit comme parent, fils du bled, membre de coterie, d’une part, et quand il agit comme citoyen.
Heureusement, tout au long de ces années d’indépendance, il n’y a pas eu que le culte de la famille et de la région ou l’esprit de clan et de compagnonnage. Il fallait quelque dose de nationalisme et de sens de l’État chez des responsables pour que le pays ne puisse être entièrement débité comme un vulgaire butin de guerre et que, parallèlement à la curée, il y eut un effort de construction. L’argent du pétrole permit que cohabitent durablement la construction et la prédation. La crise pétrolière du milieu des années 1980 et ses conséquences destructrices ultérieures en sont la preuve a posteriori.
Aujourd’hui plus que jamais, l’argent joue ce rôle de pompier dans le rattrapage de l’échec permanent de la mission d’intérêt général. Les “organisations de masse” se sont effritées avec l’économie d’État et les partis, qui leur ont succédé, ont été dissous dans le clientélisme. Les entités archaïques, homogènes, insensibles aux tonalités politiques, conservatrices et dépourvues de projections stratégiques sont mieux indiquées pour compenser la faiblesse du soutien politique et “social” vénal. C’est pourquoi les chefs de zaouïa, de confrérie, bénéficient désormais de sollicitations et d’empressements inédits.
En assumant ouvertement les pratiques clanique et régionaliste, et en faisant, dans l’ostentation et l’injustice, de l’argent un argument politique, on prend dangereusement le risque de réveiller les vieux démons, toujours vivants mais endormis, du tribalisme.
Mustapha Hammouche