Où va le FLN ?

Kamel Bouchama n’est pas seulement ce «jeune premier» de l’ex-FLN, parti unique, respecté de toutes les sensibilités politiques. Il est également un témoin averti de «l’histoire vécue» de ce parti et, fait peu connu, un auteur prolifique qui en est à son 13e ouvrage (*). Bouchama écrit comme il parle : avec ses tripes ! Il le fait pour dire sa rage, «pleurer le FLN et ses cadres – pardon ses nouveaux cadres» et clamer son refus de le voir «souillé et humilié, vivant son effondrement pour causes d’incompétence, d’outrages et de comportements démentiels». Le propos pourrait paraître excessif et nihiliste.

L’auteur n’est ni un historien académique, ni un observateur impartial – d’ailleurs, il ne s’en cache pas. Il est, comme il le souligne lui-même, «un pur produit», «l’enfant légitime du FLN qui a grandi dans ses rangs et s’est formé au contact de ses vrais militants », «le fils spirituel de ses principes, de ses fondements, de ses constantes». En lui se marient audace et naïveté, comme en tout militant dévoué aux idéaux de son parti. Ce qu’il assume parfaitement : «Oui, je répondais et j’étais l’un des rares à aller au charbon. Etais-je dissipé et imprudent à ce point, pour n’avoir peur de personne et foncer, tête baissée, devant le danger de cette faune redoutable qui pouvait me tordre le cou ? Non ! Parce que j’étais tout simplement convaincu que ce que je faisais était juste.

Et bon sang, défendre le FLN n’est plus une profession de foi, une dévotion ou un culte quand on y croit fermement ». L’auteur est encore trop jeune pour prétendre écrire ses mémoires, alors il témoigne. Il porte un regard d’une neutralité désarmante sur le rôle dévolu au FLN, un partialibi au destin singulier et récurrent réduit au rôle de «main-d’œuvre politique», de faire-valoir et de moyen de légitimation de nombre d’horreurs affectant toutes les sphères de notre vie économique, sociale, culturelle et politique.

«Le FLN a été l’épouvantail idéal, agité par tous les pouvoirs qui se sont succédé, en vue d’en faire le repoussoir de toute contestation, le souffre-douleur de toutes les catégories du peuple, pour éviter à nos “bien-pensants dirigeants” d’assumer la responsabilité du désastre national, en marche depuis longtemps déjà», souligne-t- il dès le premier chapitre traitant du constat. Pour n’avoir «jamais eu l’honneur de jouir du pouvoir », exclu du centre réel de décision qui a supplanté le Congrès de la Soummam dès 1958, le FLN est innocenté de toutes les dérives du système et de l’administration.

Ses instances dirigeantes sont choisies par les «décideurs» de toujours («ces hommes de l’ombre que l’on ne connaît jamais assez ou que l’on ne connaît pas du tout») et ses «vrais cadres attendaient, à chaque fin d’assises, que les oracles s’expriment en désignant ceux qui réussissent le mieux à mettre en œuvre leurs caprices et leurs fantaisies ». Bouchama l’avoue sans complexe : «Oui, notre parti a toujours été sous bonne garde, sans lui permettre de s’affranchir, afin de s’imposer sur la scène politique. Il n’a jamais été majeur, pour ainsi dire. Tout lui venait «d’en haut», y compris son budget, exactement comme n’importe quelle institution de l’Etat. De là, nous savons pourquoi il ne pouvait prétendre à son entière autonomie.

Cela me rappelle ce remarquable dicton algérien qui dit : «Oh bon plat de poisson, toi tu ne cuiras point et moi je ne te mangerai pas !» On attribue souvent à Zighoud Youcef cette prémonition confiée à Ali Kafi à son retour du Congrès de la Soummam : «Nous gagnerons l’indépendance mais nous perdrons la Révolution». Une prémonition confirmée par Benyoucef Benkhedda pour qui «la guerre d’Algérie a été beaucoup plus une guerre d’indépendance qu’une révolution au sens classique du terme qui suppose un parti révolutionnaire homogène, discipliné, armé d’une idéologie, d’un programme, de statuts et contrôlant les principales forces du pays».

Le bilan est, par beaucoup d’endroits, passionné, colérique car «le FLN se trouve actuellement aux mains de gens qui ne servent qu’à réguler, en fonction des conjonctures, les faveurs des uns et les préférences des autres.» A leur service, le FLN donne l’image d’une armée «d’étranges partisans qui ne vivent que de subordination et d’abjection, pour ne pas dire servilité, afin de plaire à ceux-là et aux autres, en fait, qui ne vivent que de magouilles et de projets douteux, à l’intérieur de clans où font fortune, hélas, la confusion, l’hypocrisie, la magouille et l’adversité».

Faisant, à juste titre, la part belle à Abdelhamid Mehri, l’auteur partage sa description d’un FLN otage du pouvoir : celle d’un «rassemblement d’espoirs et de rancunes, de puissants déchus et de nostalgiques déçus, d’affairistes et de jeunes premiers, une formation d’obédience conservatrice qui s’attache à le rester et qui, sur les aspects politiques cardinaux, ne partage que peu de choses avec les forces démocratiques». Pareille appréciation, aussi sévère que lucide, ne reste pas impunie ; le moyenâgeux «coup d’Etat scientifique» fomenté contre lui n’étant qu’une réaction épidermique de la «maison de l’obéissance» à ses velléités d’autonomie.

Le même sort sera réservé à ses successeurs : Boualem Benhamouda, pour avoir résisté au parachutage des équipes dirigeantes, et Ali Benflis pour avoir refusé d’être «un disciple résigné et obéissant, à défaut de le voir prétendre, un jour, au rôle de compétiteur, aspirant à d’autres pâturages». Ici, l’ouvrage nous apporte de précieuses informations. On apprend ainsi que Boualem Benhamouda reste hostile à une révision de la Constitution et qu’il l’écrit noir sur blanc dans son ouvrage peu connu Citoyenneté et Pouvoir. Malmené par les émeutes d’Octobre qui l’ont «plongé dans une crise interne qui a duré un peu plus d’une dizaine d’années», le FLN a «su montrer ses capacités à rebondir» sous la direction de Benflis.

La parenthèse tragique du 7e Congrès qui a intronisé Benflis comme candidat du FLN à la magistrature suprême du pays est une plaie toujours ouverte. Les moyens réquisitionnés (barbouzes et tontons macoutes, justice, médias) pour mater son insolence marqueront à jamais la vie politique nationale. Benflis rêvait d’un FLN «maître de son destin, souverain dans ses décisions et qui ne reconnaît comme tutelle que celle de ses militants et la volonté populaire, librement consentie». Ses prétentions étaient peut-être démesurées. Les dauphins ne sont-ils pas faits pour finir par s’échouer sur une plage ? Le 8e Congrès bis, réuni sous le slogan du rassemblement après le départ de l’enfant terrible, fut, selon l’auteur, «véritablement un cirque, et un minable cirque» : «Nous avons vu des nouveaux, des tout nouveaux, gravir les marches du palais des festivals, nous avons vu également, à notre grande stupeur, des affairistes, des repris de justice, diraient quelques militants, et même des éléments venant d’autres partis envahir les structures du FLN, dans son 8e Congrès rassembleur ».

Bouchama ne mâche pas ses mots pour en mesurer les conséquences : «Il a été un ratage sur tous les plans et sur tous les fronts. Il a été, surtout, un impardonnable encouragement à l’impunité, de par les prérogatives et responsabilités qui ont été distribuées à tout vent, au milieu d’une coterie immature et, surtout, insatiable ». D’où l’inconsistance de son programme, ses clivages successifs (éradicateurs- réconciliateurs, redresseurs-conservateurs) et la mauvaise qualité de son personnel : «Il y a de tout dans notre FLN au parcours chahuté, depuis l’avènement de la démocratie, nous sommes obligés de le reconnaître. Il y a du repris de justice à l’affairiste douteux, en passant par des hommes de main ou des hommes de paille.

Ainsi vont les choses dans le néo-FLN». Que faire devant tant de gâchis ? Le sphynx peut-il renaître de ses cendres, comme a coutume de le dire, et comme en rêve Bouchama pour en faire «une force de rassemblement et de dialogue, un instrument pour la construction d’un régime démocratique, mettant fin, en même temps, à l’oppression, à la violence et à l’exclusion» ? Tout un programme. Pour Kamel Bouchama, il suffit de «réactiver ses ressorts cassés, en d’autres termes agir dans l’esprit de sa transformation radicale». De sa refondation.

Et il en a bien besoin. Aux dernières élections législatives, le FLN a recueilli un million trois cent mille voix sur dix-huit millions d’inscrits, avec une abstention officiellement établie à 65%. Autant dire un partirepoussoir. Comme beaucoup de ses enfants, Kamel Bouchama s’accroche aux lambeaux du corps profane d’un FLN qui a, depuis fort longtemps, perdu son corps mystique. Peut-on le lui reprocher ? Il est un peu comme Malesherbes : après avoir défendu le peuple devant le roi, il a défendu le roi devant le peuple. Il y a enfin du Gramsci en lui : «pessimiste dans la vie, optimiste dans l’action». Adorable Bouchama.

Ammar Belhimer

(*) Kamel Bouchama : Le FLN, la refondation ou… le musée,
Editions El Mâarifa, 297 pages, Alger 2008.

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