La voie ouverte à toutes les dérives
Le raid de l’armée colombienne en Equateur samedi, celui, à la fin du mois de février, de l’armée turque dans le nord de l’Irak, l’un et l’autre justifiés par la «chasse» aux «terroristes», outre de faire peser une sérieuse menace sur la paix, pose en fait le problème de la souveraineté des Etats, si aujourd’hui le premier pays venu s’octroie le droit de suite contre ses rebelles et autres opposants. La facilité avec laquelle des Etats se donnent le droit d’intervenir dans les territoires d’autres Etats, met en fait, en péril la philosophie même sur laquelle sont bâtis les rapports entre Etats et Nations. Dans les deux cas de figure, les pays «agresseurs» sont passés à l’acte avec le soutien, au moins moral, des Etats-Unis d’Amérique.
Ce pays a lui-même créé un précédent - nonobstant les exactions d’Israël contre l’Autorité autonome palestinienne - en attaquant l’Afghanistan d’abord, en envahissant l’Irak ensuite. Deux pays où l’armée américaine est aujourd’hui solidement implantée. Ces opérations militaires, hier comme aujourd’hui, ont été exécutées sans l’aval du Conseil de sécurité, seul habilité selon la Charte des Nations unies, à autoriser l’emploi de la force contre un pays tiers, dans des cas très précis et sous la supervision de l’ONU. Ce n’était le cas ni pour les interventions turque et colombienne et encore moins pour les attaques américaines faites à l’encontre de l’avis même du Conseil de sécurité de l’ONU. Ce qui fait que le droit international - une référence qu’il faut désormais dépoussiérer - cède le pas, d’une année à l’autre, à la loi du talion et au droit du plus fort.
Dès lors, le danger est maintenant réel de voir une conflagration généralisée pour peu que chaque Etat décide d’imposer sa loi, bafouant ce qui tient, ou aurait dû tenir, de ligne rouge: le respect de la souveraineté des Nations qui s’impose à tous les Etats quelle que soit leur puissance. Dans ce délitement du droit international, où la notion de droit - tel que formulé par la Charte des Nations unies - est de plus en plus absente, à tout le moins biaisée, il ne faut donc pas s’étonner de voir les cinq détenteurs du droit de veto au Conseil de sécurité détourner à leur seul profit un droit et des lois internationaux qui ne servent plus que des intérêts particuliers au détriment de causes mieux en cohérence avec les raisons qui ont présidé à la création de l’Organisation des Nations unies.
La facilité avec laquelle, sous la pression des grandes puissances occidentales, a été proclamé l’Etat du Kosovo, la difficulté qu’éprouvent, sous la même influence occidentale, les Palestiniens à édifier leur Etat, l’impuissance de l’ONU dans ce dossier, son silence, lors de raids d’Etats contre d’autres Etats, que l’ONU n’a pas condamnés, disqualifient en fait une institution internationale qui aurait dû faire montre de plus d’autorité et de pugnacité face à ses Etats membres, notamment ses permanents qui, du fait de leur position, au lieu de donner l’exemple de pondération ont surtout montré qu’ils étaient plus prompts à mettre de l’huile sur le feu qui allume les brasiers. En encourageant les dernières opérations militaires turque et colombienne et/ou en restant silencieux devant ces actes condamnables, l’ONU et ses membres permanents ouvrent la voie à toutes les dérives.
Karim MOHSEN