Shogun, une fresque japonaise

Lorsque James Clavell, écrivain et cinéaste britannique (1924-1994), publie en 1975 son roman Shogun, il rencontre un immense succès qui répare un peu l’accueil mitigé réservé à ses films et surtout au flamboyant La vallée perdue (The Lost Valley - 1971) dans lequel il avait réuni deux immenses acteurs, Michael Caine et Omar Sharif, pour une épopée guerrière dans l’Europe post-moyen âge. Shogun est un roman picaresque dans lequel James Clavell raconte les péripéties d’un navigateur anglais échoué au Japon au XVIIe siècle.

C’est une fresque digne du cinéaste japonais Akira Kurosawa (1910-1998) et de son inoubliable Kagemusha. Les lecteurs, fascinés par les aventures extraordinaires du marin anglais John Blackthorne, pouvaient se demander quels prodiges d’imagination James Clavell avait mis en branle pour inventer ce personnage et pour le mettre dans une situation aussi inédite que celle d’arriver au Japon dans les années 1500. En réalité, James Clavell n’avait pratiquement rien inventé. Son héros si hautement romanesque n’était en fait que la transposition d’une personnalité historique, le navigateur anglais William Adams (1564-1620) qui s’était effectivement trouvé au Japon dans cette période-là. Dans Prisonnier du Shogun, un docu-fiction diffusé sur Arte, Gabriele Wengler s’attache à cet itinéraire hors du commun de William Adams. Pour son malheur, l’Anglais avait été précédé au Japon par des missionnaires portugais, des jésuites, qui entreprirent aussitôt de vouloir faire exécuter ce protestant encombrant.

Les catholiques portugais étaient alors très influents dans un Japon déchiré par de violentes luttes pour le pouvoir. Adams aurait certainement péri si, à ce moment-là, il n’avait pas trouvé un homme exceptionnel sur sa route. Cet homme n’était autre que Ieyashu Tokugawa (1543-1616), qui venait enfin d’accéder à la charge suprême de Shogun après avoir longuement et volontairement attendu son heure.

Dans son roman, James Clavell a transformé Ieyashu en Toranaga, mais il a conservé le caractère du personnage historique. Ieyashu Tokugawa était un homme d’une intelligence au moins égale à sa cruauté. Toute sa vie, il avait nourri le dessein d’être Shogun, autrement dit le généralissime du Japon dont il entendait parachever l’unification. Rien de ce que disait ou faisait Ieyashu Tokugawa n’était innocent ou gratuit.

C’est donc par calcul politique qu’il décide de ne pas faire mourir Adams, comme le voulaient les jésuites portugais, mais au contraire d’en faire son protégé, puis son conseiller en politique étrangère avant de l’introniser samouraï, ce qui était quelque chose d’impossible auparavant pour un Européen. Dans son roman, James Clavell a tout de même créé des personnages comme Kasigi ou Mariko. Mais la ligne générale de son récit, brillamment documenté, reste proche des sources originelles.

Le succès de Shogun était tel qu’il a inspiré une adaptation télévisée réalisée par Jerry London et diffusée en 1980. James Clavell qui est un connaisseur du monde asiatique - on lui doit avec Tai Pan un autre gros succès de librairie - a eu le mérite d’introduire à la connaissance du Japon de la période féodale. La présence de William Adams n’a pas aidé à une grande ouverture du pays sur le reste du monde, car au contraire le Japon avait choisi dans ces années un isolationnisme délibéré.

Le roman de James Clavell est fascinant pour la finesse et la vérité du portrait qu’il trace de Ieyashu Tokugawa qu’une terminologie actuelle qualifierait de despote éclairé. Il était en fait un dictateur implacable qui n’hésitait pas, par vengeance personnelle, à faire scier le cou de ses ennemis par le peuple, comme le rappelle James Clavell dans les pages finales saisissantes de son roman. Ieyashu Tokugawa avait été porté par une ambition effrénée de parvenir au pouvoir suprême et, pour atteindre cet objectif, il utilisait tous les moyens sans scrupules ni état d’âme.

William Adams, sans le savoir, avait été l’un des instruments de cette ascension vers un pouvoir absolu qui permettra néanmoins au Shogun de mettre en route les réformes dont le Japon féodal avait alors besoin pour asseoir son unité. Il est significatif que la présence de William Adams ait été suivie, même tardivement, de la naissance d’une flotte japonaise bâtie sur des normes occidentales. C’était l’héritage du marin anglais autant que du général japonais.

Amine Lotfi

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