J’ai fait un rêve
1. Rassure-toi, je ne vais pas ramasser mon élan et m’élever dans l’envolée emphatique que pourrait suggérer un tel titre. Il faut être sérieux mais, comme pour les plaisanteries de mauvais goût, il y a un moment où il faut savoir s’arrêter. Tout ce détour pour te dire que je ne saurais me prendre pour le pasteur Martin Luther King, dont c’était le credo. Se prendre pour lui suppose qu’il faut payer comme lui, et dans la même monnaie.
«Pour avoir les réponses, il faut vivre les questions », coupait court Friedrich Hölderlin, le poète maudit. Or moi, je ne vis que les réponses, et je n’ai pas l’ombre d’une question à commencer à envisager, c’est dire. En plus, quand on sait comment le poète allemand a fini !… Dans la folie et la misère morale ! Ma parole, c’est l’hécatombe tous azimuts ! Quand je dis «j’ai fait un rêve», citant involontairement le grand militant noir des droits civiques américains assassiné à Memphis le 4 avril 1968, c’est parce que tout simplement, j’ai fait un rêve. Eh oui, j’énonce une évidence, voilà tout ! Ce n’était pas un rêve de grandeur. Pas même un rêve grand. Pas non plus un rêve de grand. Un rêve tout simple, «plus banal qu’un ticket de bus» aurait dit Jean Sénac. Un rêve ordinaire. Et quoi ? Je ne sais plus. J’ai vu des gens louches, très louches même, s’agiter sur fond de bruit de culasses et tout baignait dans une lumière blafarde. Un rêve, quoi ! Ni plus sirupeux ni plus cauchemardesque qu’un autre. Un rêve formaté, qui a les mêmes dimensions, la même couleur, voire la même texture que tous les rêves des temps de fracas. Rien de particulier.
Au reste, il ne méritait même pas, je te le concède, d’être raconté. Encore moins d’être interprété si, d’aventure, tu voulais t’y coller… Son seul intérêt, c’est qu’il a débouché sur le réveil. Et, au réveil j’apprends cette chose insolite : les progrès de la science vont aujourd’hui jusqu’à influencer les rêves d’un être humain. Textuel ! Ça t’en bouche un coin, aboule ! D’ici qu’on décide ce que tu vas ressentir, il y a pas loin. Bientôt, tu seras un robot, mon frère ! Un vrai robot, avec des boulons aux articulations et une voix de cauchemar, qu’on te demandera de glisser dans l’urne comme un bulletin de vote. Pas d’isoloir, ni d’intimité. Tu existeras, malgré toi, en pipole. C’est comme ça qu’ils disent. On saura tout de toi parce que rien ne sera de toi. Tu ne seras, toi, qu’une enveloppe charnelle qui enrobe de chair et de sang un programme. Tu l’es déjà un peu, un programme.
Déjà, on fait de toi un peu ce qu’on veut. Mais il y a encore beaucoup d’avenir, faut pas t’en faire. Maintenant qu’on peut programmer ce que tu dois rêver !
2. «Le rêve est l’aquarium de la nuit», causait Victor Hugo ? Pas faux ! Pour autant, ne trouve-t-on dans cet aquarium, surnageant à la surface de l’inconscient, que des images faites pour le scalpel du docteur Freud ? C’est tangible : «La République est nue». C’est ce que j’ai cru lire sous la plume d’un excellent confrère chroniqueur. Plus nue que ne l’est le roi, qui ne l’est pas du tout ? Certes, nue, la République l’est. Depuis quand ? Longtemps ! Il est loisible à tout voyeur d’admirer ses atours et de soupeser ses disgrâces. Mais a-telle jamais été vêtue ? Et de quoi ? La République, qui est nue comme un ver, a-t-elle porté, altière, la tenue de gala des fringants officiers de l’ANP avec toute une théorie de décorations sur la poitrine ? Ou, au contraire, agressée, subissant les menées d’ennemis coriaces, s’est-elle engoncée dans les strates vert olive de la tenue de combat et s’est-elle dressée sur le pied de guerre pour reconquérir son destin… républicain ?
Sur ses graciles épaules, la République étend-elle les pans de la toge d’aguellid que Boumediene avait transformée en burnous brun en peau de chameau ? De l’allure ? Martial ! Dépêchait-elle, toutes coutures cessantes, Francesco Smalto pour lui couper des costumes dernier cri plus «sur mesure» qu’une Constitution, pour ressembler à cet acteur de grand talent qui a pour nom Jeff Chandler, lequel ressemblait à s’y méprendre à Chadli ? Ou alors, dénudée d’un coup dans une rixe où on lui a arraché ce qu’elle avait sur la peau, a-t-elle hâtivement protégé sa dignité, le temps d’une fausse accalmie dans l’agitation des loups qui la tiennent de leurs crocs, du modeste costume de confection que le touchant Mohamed Boudiaf avait acquis dans une banale boutique d’une rue commerçante semblable à Bab Azzoun ?
Et comme lui, le sacrifié, victime de la perfidie, a-t-elle été recouverte du blanc linceul de la grandeur ? A-t-elle enfilé vite fait le complet gris intérimaire d’Ali Kafi avant de se faufiler dans le panaché quelconque de Zeroual ? Se pavane-t-elle dans les rayures réconciliées de Bouteflika ? A-telle été enterrée sous les sédiments de voiles afghans, iraniens… Visigoths, tiens !… Comme Mustapha Kemal décrétant l’interdiction du couvre-chef stambouliote au profit du chapeau européen, nos gouvernants devraient prendre des décrets couturiers.
Habillez la République ! Qu’elle se mette quelque chose sur le corps et sur la tête ! Saurions-nous ainsi, au moins, quel imam fait l’habit !
3. «Rêver, c’est informer l’avenir », devisait Gérald Neveu. Abdelhak Brerhi, le représentant du CCDR, n’a pas eu, malgré sa vigilance citoyenne et son sens de la projection, ce pressentiment qui, mine de rien, annoncerait l’avenir. C’est du moins ce qu’on en déduirait de sa déclaration faite à Oran chez le Civic. Il dit : «En 2004, en soutenant Benflis, nous avons été dupés». Imparable aveu ! Du reste, nul ne peut amoindrir le casus belli de la duperie. Les résultats sont là pour le montrer dans toute sa désolante splendeur. Le hic, c’est la temporalité pour le saisir. En temps réel, c’était beaucoup mieux et beaucoup plus politique surtout. Informer l’avenir : n’est-ce pas non seulement l’ambition du rêveur mais aussi le devoir de l’homme politique ? On peut se planter, certes, ça ne diminue en rien la sincérité de l’engagement.
Même si Brerhi a ajouté que le soutien à Benflis était assorti d’une réserve sémantique (Nous lui avons dit «tu représentes une transition et non une alternative»), il en conclut qu’il n’est pas possible de transformer les choses de l’intérieur après avoir observé que les démocrates républicains sont partisans des changements légaux. Si on écarte le «changement de l’intérieur», qui est un leurre comme le prouve l’expérience politique algérienne depuis l’indépendance, et qu’on accepte de rester dans la légalité pacifique, quelles peuvent être les sorties de crise ? Ni entrisme et tas de coups du dedans ni coup d’Etat : quelle alternative ? Abdelhak Brerhi ne le dit pas. Pas plus qu’il ne précise, quand il avoue avoir été dupé dans le soutien à Benflis, par qui il l’aurait été.
Est-ce Benflis lui-même qui a dupé ceux qui l’ont soutenu ? A-t-il été lui-même dupé, ce qui conduit à porter cette triste constatation d’un dupé qui dupe à son tour ses soutiens. «Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde», articulait Albert Camus. On aurait gagné, parce que l’histoire s’écrit aussi de cette précision-là, qu’Abdelhak Brerhi en dise un peu plus long sur le chapitre qui demeure obscur, le duel Benflis-Bouteflika. On n’a même pas pigé si c’était vraiment un duel Benflis-Bouteflika ou si, derrière, il y avait d’autres duels cachés par le trompe-l’œil ! Sinon, pour le reste, on ne peut que partager le constat de Brerhi, notamment sur l’agriculture dont on ne parle jamais, comme si elle n’existait pas.
Et, avec lui, on doit sourire de cette comédie nationale récurrente qui pousse «même le Comité olympique supposé être apolitique» à joindre «sa voix à ceux qui appellent à un 3e mandat ». Le soutien, sport national ? On a déjà vu l’USMA envoyer un «message de soutien» à je ne sais plus quel président. Et ainsi de suite ! «Il n’y a qu’une chose qui puisse rendre un rêve impossible, c’est la peur d’échouer» : c’est de Paulo Coelho, l’auteur brésilien qui aime modérément le foot.
Arezki Metref