L’argent et la parole
La réaction des familles endeuillées me paraît porter plus de sens que ce qu’en a dit la presse. Sur le fond, c’est la première fois que des Algériens disent à Ould Abbès, le ministre chargé de bâillonner les parents des victimes : «Votre argent et vos dons ne nous feront pas taire ! La mémoire de nos enfants, nos maris, nos frères et sœurs vaut infiniment plus que votre proposition honteuse : notre silence sur les vérités proches et lointaines contre des compensations financières.».
Mieux, ils ont saisi au quart de tour l’autre aspect inavouable de la manigance : les amener à rejoindre cette «indignation » orchestrée contre Al Jazeera quand des chefs terroristes passent à la télévision algérienne à différentes occasions de soutien à des initiatives du pouvoir ou font des déclarations gravissimes, avant-hier, sur la presse algérienne para-publique en réaffirmant qu’entre eux et le pouvoir existe un accord secret pour la réhabilitation du FIS lors du troisième mandat et que les attentats du 11 décembre ne peuvent, logiquement, être l’œuvre d’Al Qaïda, mais celle de clans au sein du pouvoir pour empêcher un troisième mandat.
Et ce n’est pas la réaction timide et absconse de Ouyahia appelant les Algériens à ne pas tomber dans la «confusion» dans les analyses qui corrigera la bévue car, bien sûr, il tentait de réagir au retour du «qui-tue-qui ?» relancé conjointement par ce chef terroriste et par le bouffon Addi Laouhari, secondé par Gèze et consorts. Nous pouvons supposer, au vu des qualifications universitaires des victimes, que leurs parents (notamment, les veuves) possèdent suffisamment de culture et d’instruction, en tout cas d’une grille de lecture plus élaborée que la moyenne des Algériens qui leur permettent de voir plus clair et plus vite dans les manigances du pouvoir.
Cela ne me semble pas rendre compte de toute la signification de ce geste de dignité des familles. Je crois, plutôt, y percevoir les signes avant-coureurs d’une démarcation de la société par rapport au pouvoir sur la réalité de l’anti-terrorisme de la première et du second. Mais tout autour de vous, demandez aux gens, aux simples gens comme aux mordus de la politique s’ils pensent que leur opposition au terrorisme repose sur les mêmes bases que celles du pouvoir et désigne le même ennemi.
Même chez les personnes qui ont pris une part active politique, idéologique ou militaire contre le terrorisme. C’est à la fois un signe d’autonomie de larges pans de la société vis-à-vis du pouvoir et le signe de la recherche d’une résistance plus appropriée à cette agression généralisée contre notre société et notre peuple. Mais peut-être pensez- vous autrement ?
MOHAMED BOUHAMIDI