L’islamisme mortifère

Les attentats terroristes perpétrés à Alger ce mercredi 11 avril contrastent avec les techniques adoptées par l’islamisme armé algérien : outre le label d’Al Qaïda qui lui procure une visibilité mondiale garantie, le modus operendi suivi dans l’exécution de cette entreprise porte d’abord et avant tout la marque de fabrique de l’islamisme mortifère.

Derrière l’apparence d’une « rage islamique » ne varietur, l’opération jihadiste menée par les trois kamikazes participe bien plutôt d’une ré-invention, tant les inflexions qu’elle introduit y sont plus importantes que les lignes de continuité qu’elle prétend entretenir avec les formes classiques du jihad. Qu’est-ce qui pousse cependant un groupe d’hommes à se donner la mort et à donner la mort autour d’eux ? Qu’est-ce qui motive les candidats au martyre et au jihad ?

La sacralisation du jihad est un phénomène on ne peut plus contemporain. Comme l’on sait, c’est Abdel Salam Faraj, ingénieur électricien et idéologue du Tanzim al Jihad – le groupe assassin de Sadate –, qui en formalisera la doctrine en 1977. Dans son opuscule L’Impératif occulté (al faridha al ghaïba), le jihad est élevé à la dignité d’une obligation personnelle impérative (fardh âyn), au même titre que la croyance en l’unicité de Dieu, la prière ou le jeûne, alors que la Tradition a toujours restreint son usage et fait de son recours un impératif communautaire (fardh kifaya) en cas de menace d’un ennemi en terre d’islam. Obligation est ainsi faite aux oulémas de décréter le jihad contre tout dirigeant qui n’applique pas l’islam (même s’il se dit musulman) au moyen du takfir, l’excommunication – sentence qui rend licite le sang de l’impie. Le renouvellement de la doctrine du jihad est explicitement énoncé par Ayman Zawahiri, le théoricien d’Al Qaïda, dans son livre Cavaliers sous la bannière du Prophète, diffusé deux mois après l’attentat des tours jumelles par Al Charq al Awsat, le journal saoudien de Londres.

S’inspirant des écrits de son mentor Sayyid Qotb sur la « génération coranique » devant arracher les musulmans à la « nouvelle jahiliyya », l’ancien membre du Tanzim al Jihad lance un appel lyrique au « nouveau contingent d’islamistes qui a si longtemps fait défaut à l’oumma » : « Notre époque est témoin d’un phénomène nouveau qui gagne sans cesse du terrain : celui des jeunes combattants du jihad qui abandonnent famille, pays, biens, études et emploi à la recherche d’un lieu pour accomplir le jihad pour l’amour d’Allah (…). Une seule solution : le jihad ! » « Les enfants de l’islam, poursuit-il, en sont convaincus. » Ces derniers doivent « se préparer à un combat qui n’est pas confiné à une seule région, mais qui vise aussi bien l’ennemi apostat intérieur que l’ennemi judéo-croisé extérieur ».

Ce défi exige toutefois, précise le médecin, un commandement « scientifique, combattant et rationnel ». Dans cette perspective, le caractère « professionnel » et spectaculaire des attentats terroristes frappant des symboles tels que les tours jumelles ou le palais du gouvernement algérien escompte séduire les masses musulmanes et les pousser dans la voie du jihad global contre l’ennemi intérieur et extérieur. Qui sont ces candidats au martyre islamique ? Adeptes du bricolage idéologique et de l’instantanéité, leur accès au corpus religieux se fait de façon sauvage, en violation des canons classiques (maître-disciples).

Enfants de l’Internet et du digital, les nouveaux sectateurs jihadistes sont fascinés par la technologie, mais peu ou prou par la science en tant qu’univers infini ou théorie moderne de la connaissance. Beaucoup d’entre eux ont suivi des « études modernes », mené une jeunesse « à l’occidentale », sont devenus transnationaux et ont souvent connu une radicalisation politique avant de basculer dans la violence. Déçus par les expériences nationales menées par les islamistes, dé-territorialisés, ils s’accrochent en désespoir de cause à une néo-umma fantasmatique.

En dépit de leurs différences culturelles, les sectateurs jihadistes partagent un trait psychologique commun : l’humiliation, que celle-ci soit imaginaire ou réelle, directement subie ou ressentie par procuration. L e martyre est d’une certaine façon une réponse à cette humiliation, au moins autant qu’une manière d’humilier l’ennemi (le Grand Satan, le Taghout, etc.). La peur infligée à l’ennemi, supérieur en puissance, compense ainsi symboliquement l’infériorité du jihadiste. Par-delà ce sentiment de revanche mêlé de virilité, c’est incontestablement la certitude, puisée dans la lettre coranique, d’accéder au paradis promis, qui permet au candidat de surmonter la peur de la mort et de franchir le pas du martyre – lequel lui permet de fuir les tourments de la mauvaise conscience et de démissionner devant les difficultés du monde.

Mohammed Hachemaoui

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