BONJOUR LES TROUBADOURS, ENTREZ, C’EST OUVERT !
Commentaire des autorités italiennes à l’arrivée de Abdekka en Sardaigne :
«Il est en règle !
Chauffez les tambourins ! Tendez les cordes ! Astiquez le bois des luths. Les troubadours sont de retour ! Dressez les tréteaux ! Mettez les nappes neuves ! Disposez les fleurs ! Les troubadours sont de retour ! Repeignez les murs ! Briquez les pavés ! Faites reluire les miroirs ! Les troubadours sont de retour ! Allumez les lampions !
Accrochez les oriflammes ! Dépliez la draperie ! Les troubadours sont de retour ! Tressez des couronnes de roses dans les cheveux des fillettes ! Habillez de précieux velours les garçonnets ! Tapissez les allées de lilas fraîchement cueillis ! Les troubadours sont de retour ! Brûlez les poètes ! Enterrez la vérité ! Vénérez la flagornerie ! Les troubadours sont de retour ! Comme les nuées de criquets, leurs essaims sont déjà signalés par les vigiles, guetteurs de malheurs à venir. Inutile de fermer vos portes et fenêtres, les troubadours reviennent ! Ils fondent sur les villes et villages. De leurs orifices buccaux, sortiront bientôt en mitrailles les louanges au dieu terrestre.
De leurs battements de mains frénétiques monteront les suppliques au roi et aux divinités afin qu’elles lui prêtent longue vie, faconde et invulnérabilité. De leurs pieds trépignants vibreront des promesses de pérennité fossilisée. Ne fermez pas vos yeux, gardez vos oreilles bien ouvertes, les troubadours vont se succéder sur le perron du palais, rivalisant dans l’emphase, se surpassant en alexandrins débités à la tronçonneuse avide et cupide.
De partout, du pays quadrillé par la parole violée, des contrées de l’admiration forcée, des régions de la béatitude administrée vont monter les feux de fausse joie, les rassemblements de soumission affichée et va s’élever ce chant païen que l’on disait oublié, perdu dans les limbes du progrès : «Oûhda thalitha, oûhda daiîma !» Un troisième mandat ! Un mandat à vie ! Bonjour les troubadours, entrez, c’est ouvert ! Je fume du thé et je reste éveillé à ce cauchemar qui continue.
Hakim Laâlam