Calme campagne
Dans ce qui devait être une campagne électorale pour l’ensemble des communes du territoire, les hommes et les rares femmes politiques sont d’une discrétion remarquable.
À peine une ou deux listes sont affichées, laissant vides la plupart de ces panneaux informes “réservés à cet effet”. Les candidats s’excusent presque de leur candidature quand ils traversent les rues pour aller vers des permanences badigeonnées d’emblèmes et qui, seules, rappellent que quelque chose se passe.
Pour la première fois dans l’histoire du multipartisme, les journaux ne trouvent pas, ou si peu, matière à couvrir une “campagne électorale”. Quelques titres qui en font encore un sujet de principe s’échinent à monter leur dossier quotidien sur “l’événement”.
Les chefs politiques se démènent pourtant pour combattre le désintérêt populaire royal pour cette formalité de plus. Parfois au prix de révolutionnaires retournements : des chefs de gouvernement se scandalisent des fraudes de l’administration et dénoncent “la poignée de voyous” qui tient en otage l’avenir “des 99,99% de bons Algériens” !
Cocasse et dérisoire acharnement verbal par lequel ceux qui ont durablement exercé leur arbitraire et ceux qui les ont soutenus nous prennent à témoin des méfaits du… pouvoir. De leurs méfaits.
Les Algériens ne sont pas nombreux à suivre ces échanges à fleuret moucheté, ces accusations mutuelles masquées. On ne s’attaque pas franchement dans le sérail : cela risque de donner des arguments au peuple qui, lui, doit être condamné à choisir entre Moussa El-Hadj et El-Hadj Moussa.
Ils sont de moins en moins nombreux les “électeurs” qui se laissent encore embarquer pour aller de Charybde en Scylla. Ce qui nous donne le droit à cette calme campagne, sans haut-parleurs, sans mouvement de foules, sans dobermans…
Les partis politiques ont leur vie, faite de montage et de bataille de listes, de prévisions sur la fraude, de putschs locaux, de contestation de directions. Dedans, la campagne bat son plein, bruyamment parfois. Dehors, le peuple a sa vie propre, faite de prix de la pomme de terre, de jeune voisin qui a pris la mer ou le maquis, de crédit automobile que la CNEP refuse à nouveau, de la peur et du froid des campagnes, des encombrements et de l’insalubrité.
Société et État mènent deux vies parallèles. En pleine campagne électorale, censée être un moment d’intense dialogue entre le pouvoir et la cité, le peuple tourne le dos à ses dirigeants. Après tout, l’inverse est vrai pour tout le reste du temps, tout ce temps où société et État ne communiquent qu’à travers les solidarités politico-financières, les réseaux de la rente, les entrelacements népotiques, la sociométrie des influences. Le discours magique et unique, censé entretenir la patience d’une population éprouvée par le dénuement, la bureaucratie, l’arbitraire, la nonchalance des élus et le spectacle de la rapine, ne fonctionne plus.
On pensait que le pouvoir et son armée d’hommes “politiques” le savent depuis le 17 mai. Ils ont su écouter les détonations des terroristes qui nous tuent, mais ils ne savent pas entendre le silence du quidam qui leur parle.
Ils dressent, seuls, leurs beaux bilans et tressent, seuls, leurs belles promesses. Ils n’ont que faire de notre attention ; ils se parlent à eux-mêmes.
Mustapha Hammouche