Harragas et pénurie de manœuvres

Avec toutes les lacunes inhérentes à une première initiative, la rencontre d’avant-hier sur les harragas a eu au moins le mérite d’exister. Il est évident qu’un conclave, quelle que soit la qualité de l’aréopage de personnalités conviées et quelle que soit la pertinence des résolutions, ne résoudra jamais un problème, surtout de cette ampleur et de cette complexité.

Mais au moins, la rencontre en elle-même est à saluer, en ce qu’elle tranche avec la culture de la politique de l’autruche si chère à nos décideurs, qui croient surmonter un obstacle en en détournant les yeux, bien qu’il soit connu de tous qu’on ne fait pas baisser la fièvre en cassant le thermomètre.

Chômage, mal vie, carence de toute perspective d’épanouissement, misère sous toutes ses formes sont les facteurs quasi-évidents qui font qu’un jeune succombe à la tentation de répondre à l’appel de la prétendue dolce-vita européenne, en risquant le tout pour le tout et au péril de sa vie.

Mais il ne faut jamais isoler un problème et l’extirper de son contexte. Le hasard du calendrier a voulu qu’au moment où se tenait à Alger cette rencontre, à Blida le ministre de l’habitat a écouté, au grand étonnement de tous, des entrepreneurs se plaindre de l’absence de main d’œuvre, non pas qualifiée, mais de manœuvres !

…En d’autres termes, il n’y a pas de manque de postes d’emploi dans ce pays, il n’y a que pénurie de volonté de travailler. Cela semble paradoxal, à moins que l’on ne tombe dans la facilité de traiter les jeunes de paresseux, ce qui relève du jugement moral et non de l’explication qui tente de trouver les raisons qui ont fait qu’un jeune tourne le dos à une proposition d’emploi. En fait, le jeune, refuse le travail, avec un salaire régulier et la stabilité sociale non pas parce qu’il est masochiste, mais parce qu’il peut mieux vivre autrement et avoir des rentrées d’argent parfois conséquentes pratiquement sans effort et, qui plus est, sans horaires fixes et sans avoir à obéir à qui que ce soit.

Par un incroyable laxisme des pouvoirs publics, qui ont fermé les yeux et même encouragé toutes sortes de pratiques à la limite de la légalité, comme le trabendo ou, pire, en permettant à des centaines de jeunes de s’adonner à cette pratique entre la mendicité et le racket qu’est la « pseudo-surveillance de parkings », le jeune Algérien a perdu, sans tant qu’il l’ait un jour acquise, toute notion de la valeur travail, en tant que noble qualité humaine.

Il est normal, puisque qu’on lui a donné l’occasion de bien vivre en restant partisan du moindre effort, qu’il méprise avec superbe le principe de « vivre à la sueur de son front » et qu’il ignore totalement ce que signifie « justifier son salaire ». En somme, sous le fallacieux et par ailleurs totalement dépassé prétexte qu’en vivant ainsi « le jeune n’est pas attiré par le terrorisme », c’est-à-dire en cultivant le « mieux que pire », les pouvoirs publics portent une lourde responsabilité sur la désagrégation des mentalités juvéniles chez qui on a inculqué l’idée que tout ce qui n’est pas vol manifeste est permis.

Le pire, c’est qu’à tous ces chômeurs qui refusent de travailler, l’Etat donne la possibilité (il suffit de justifier de six mois d’une de non-emploi, ou plutôt d’oisiveté) de bénéficier, par le biais du dispositif des micro-entreprises, de bénéficier de substantiels crédits. Si ce n’est de l’assistanat, ça y ressemble étrangement. Encourager des jeunes à vivre aux crocs de la société alors qu’à côté, des offres d’emploi restent sans écho, est une attitude incompréhensible, révoltante même. Une triste réalité difficile à accepter. De quoi, et pour moins que ça, devenir harraga.

Nadjib Stambouli

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