La responsabilité de tous et de personne
Un imam est en prison, suspecté d’avoir “préparé” un enfant de quinze ans au suicide terroriste. Le ministre du Culte vole à son secours en déclarant, au sujet d’une affaire entre les mains de la justice, que rien ne prouve que le prêcheur d’Apreval est à l’origine de l’endoctrinement du kamikaze de Dellys.
Pas même la sérénité de laisser le dernier mot à l’enquête et l’instruction judiciaire ! Faut-il rappeler l’épopée de Abassi Madani, Ali Benhadj et consorts pour établir la responsabilité de prédicateurs de quartier dans l’avènement du terrorisme islamiste ?
Il suffit d’écouter, aux abords des moquées, les prêches du vendredi pour entendre des commentaires qui reviennent, en gros, à appeler les fidèles à se faire justice. Contre la femme d’abord, parce qu’elle “s’expose sur la plage” ou qu’elle “s’habille vulgairement”. Quoi de plus exaltant que de légitimer la haine d’un adolescent, sevré par la vigilance bigote, la répression officielle et la marchandisation sociale du sexe, contre la source de nos potentielles dépravations ?
L’autojustification est devenue un réflexe chez nos responsables. Ces derniers temps, il s’observe particulièrement chez nos ministres. À commencer par les ministres de l’Agriculture et du Commerce qui s’imputent mutuellement et publiquement la responsabilité de l’augmentation des prix des fruits et légumes.
En même temps que Ghoulamallah tente de laver le prêcheur d’Apreval et les autres imams de tout rôle dans l’embrigadement idéologique des jeunes, Benbouzid déclarait, répliquant probablement à une récente déclaration d’un sociologue, que l’École algérienne ne “forme pas de terroristes”. L’instituteur qui demande à des enfants de ramener des bouchons de liège en classe pour confondre les élèves dont les parents consomment du vin est peut-être une invention malintentionnée, mais on ne sait tout de même pas ce que la tutelle scolaire fait pour prévenir les tentations propagandistes d’éventuels enseignants militants.
En un mot, qu’a fait l’École algérienne pour prévenir le recrutement de jeunes, voire d’enseignants, de médecins et d’ingénieurs par les groupes terroristes ? Car la question n’est peut-être pas celle de la formation des adolescents à l’extrémisme et au terrorisme, mais de leur formation contre l’extrémisme et le terrorisme. Et cela, on ne peut pas dire que les discours religieux de maîtres zélés et d’imams improvisés dans les “massalla” de cités universitaires obéissent plus à un souci d’éducation civique qu’ils ne sont le message tentaculaire de missionnaires idéologiques.
La magnanimité de l’État face aux menées intégristes est illustrée par le récent privilège accordé à Al-Qaradhaoui. Ses fetwas, encore récemment, faisaient foi sur les sites des groupes islamistes et, il y a quelques jours, il ouvrait le journal de la télévision publique en moralisateur pacifiste.
Bien sûr, prise isolément, aucune structure n’est responsable de la diffusion de l’obscurantisme ; il fallait une soumission globale des institutions — pouvoir, administration, école, télévision… — pour qu’une rupture islamiste ait raison à ce point d’une culture de tolérance séculaire.
On peut, après, individuellement s’en laver les mains.