Ici meiux que làbas!

Le kamikaze de Batna est un sacré rabat-joie. En se faisant sauter au milieu de la foule et en entraînant dans son saut périlleux des innocents, il rappelle cet axiome : la paix ne se construit pas sur la compromission, l’amnésie décrétée et le déni de vérité. C’est une tautologie, sur laquelle se sont jetés la plupart des analystes maison, que d’observer la contradiction qui oppose l’attentat qui visait en toute vraisemblance Abdelaziz Bouteflika à Batna, et les autres attentats dont celui du 11 avril, au discours euphorique sur les effets apaisants de la «réconciliation nationale».
Ceci dit, qu’est-ce qu’on fait ? La tragédie de Batna permet d’ores et déjà de réitérer le même combat d’éléphants. D’un côté, le président et ses proches demeurent persuadés, dans une sorte de myopie qui confine à l’idéalisme, que le regain de violence et l’introduction des kamikazes dans le procès de la violence politique en Algérie, ne sont pas la conséquence exacerbée de l’échec d’une «réconciliation» factice, qui n’est que l’autre nom de l’abandon du pouvoir aux islamistes, mais au contraire un signe du succès de cette politique. Où est ce succès ? Il faut le chercher. De l’autre côté, les opposants à Bouteflika qui n’ont pas eu l’heur d’être repêchés du fait d’une hostilité rédhibitoire, actionnent la même antienne qui justifie le regain de violence non pas par le fait que la plupart des problèmes de fond politiques et sociaux demeurent en l’état (marginalisation des couches les plus défavorisées, exclusion ou reddition des oppositions réelles ou fabriquées), mais par les inconséquences intrinsèques de Boutelika. Les problèmes d’une étape et d’un système finissent par être réduits à ceux d’une personne. Les uns comme les autres se saisissent de cette tragédie pour, encore une fois, régler des comptes et vendre une «politique» comme du savon à barbe. Tant pis pour les victimes, celles de Batna, celles d’ailleurs et celles de toujours ! Victimes de quoi, ces victimes ? Tout est là. Ce qui est frappant dans le compte rendu de l’attentat de Batna et dans la réaction de Bouteflika, c’est la promptitude avec laquelle les conclusions ont été tirées, les coupables désignés, la stratégie des commanditaires éventée. Alors que les faits ne sont pas encore établis avec certitude, on désigne déjà, de part et d’autre, les fauteurs de guerre mais tout porte à croire qu’encore une fois, on le fait pour la forme comme dans l’énième épisode d’une tragédie destinée à se poursuivre dans une éternelle opacité. Un jour, peut-être proche, des membres des services de sécurité, du gouvernement ou des journalistes «spécialisés » dans le terrorisme affirmeront que le kamikaze de Batna a été identifié ou qu’un de ses complices a été abattu. Pour l’heure, on pare au plus urgent : dire quelque chose ! Si, pour persister dans la négation de la réalité de l’échec d’une politique qui consiste en un «blanchiment» des terroristes islamistes, le pouvoir sort l’épouvantail de «la main de l’étranger», ses adversaires, eux, n’y vont pas par trente-six chemins pour désigner Al Qaïda. Les jeux semblent faits mais on ne sait quel en est l’enjeu. C’est justement l’identification de ce dernier qui aiderait à comprendre un tantinet l’étrange drame qui se joue dans ce théâtre d’ombres où les acteurs sont préservés et les spectateurs en péril. Le contexte dans lequel cet attentat est perpétré incline à offrir des lectures diverses. Quand bien même il serait l’œuvre d’islamistes convaincus de leur impunité en application de l’esprit de la «réconciliation», qui peut assurer qu’il ne procède pas aussi des luttes de clans nouées autour de la succession ? Qui peut assurer que ce ne sont pas encore ces luttes d’influence au sommet de l’Etat qui débordent dans la rue à la croisée de plusieurs facteurs ? Le premier facteur est l’état de santé du président Bouteflika. Quel que soit ce dernier, dans plusieurs cercles du pouvoir, on se prépare à la succession. Dans son propre camp, la révision de la Constitution visant à faire passer le mandat de 5 à 7 ans aurait pour finalité, si besoin était, de léguer à un vice-président les rênes du pouvoir jusqu’en 2012. A charge pour lui d’utiliser ce temps pour asseoir la dynastie clanique. En cette étape au cours de laquelle les équilibres nouveaux sont précaires, il n’est pas étonnant que les prétendants au pouvoir se présentent à couteaux tirés et le regard masqué. D’autant que les intérêts en jeu sont plutôt considérables. La hausse des prix des hydrocarbures a fait croître la rente pétrolière augmentant la taille du gâteau. Chacun veut prendre sa part, quel qu’en soit le prix. La crise sociale secoue le pays en créant le malaise propice à tous les chamboulements. Le chômage est effarant. Devant le blocage de tout dialogue, les émeutes deviennent une médiation. Enfin, il convient de ne pas sous-estimer le facteur géopolitique. La montée de la Chine et de la Russie, avec lesquelles l’Algérie conclut des partenariats économiques et stratégiques, remet en cause la relation privilégiée souhaitée par les Etats-Unis de Bush. Ce dernier convoite, on le sait, les richesses naturelles du pays et la possibilité de bases militaires. Et si, plutôt que d’être le porteur d’un message simpliste disant la puissance des intégristes à frapper quand ils veulent et où ils veulent, et surtout qui ils veulent, le geste criminel du kamikaze de Batna condensait la complexité de toutes ces données ? C’est fort probable, hélas ! Il eût été moins angoissant que ce fût plus simple, comme tu dis !

Arezki Metref

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