Autoritarisme constitutionnel : l’école égyptienne
Hosni Moubarak a fait adopter, hier, par référendum, l’amendement de trente-quatre articles de la Constitution. La réforme vise à verrouiller un peu plus une vie politique déjà fortement régentée.
Les changements tendent à barrer la route du pouvoir au mouvement des Frères musulmans, première menace pour le régime. Mais les nouvelles mesures ne manqueront pas de contraindre l’opposition. Celle-ci avait d’ailleurs appelé, pratiquement dans sa totalité, au boycott du référendum, obligeant Moubarak à frauder sans elle.
La riposte du pouvoir égyptien à la montée de la menace islamiste par Moubarak est significative de l’attitude des régimes arabes autoritaires. Démunis de la légitimité suffisante pour discréditer la contestation intégriste, dépourvus de la popularité nécessaire pour l’affronter, ils oscillent sans cesse entre arrangements et répressions.
Les Frères musulmans, interdits en Égypte comme organisation et tolérés comme mouvance, prospèrent comme acteurs sur les concessions tacites du pouvoir, et comme victimes quand le régime se prend d’accès de répression. Aujourd’hui, ils occupent le cinquième des sièges de l’Assemblée nationale grâce à leurs quatre-vingts députés élus en “indépendants”. Ils seraient bien plus nombreux si le mouvement ne s’était pas retenu d’effaroucher le pouvoir en réduisant le nombre de postulants au mandat législatif.
Par sa révision constitutionnelle, Moubarak réagit à ce subterfuge en prohibant, pour les échéances à venir, les candidatures indépendantes. Et pour prévenir toute velléité de régularisation administrative, il interdit la constitution de partis politiques sur une base religieuse. Ces nouvelles règles s’accompagnent de “mesures d’accompagnement” qui légaliseront la répression policière de l’activité politique : les perquisitions et écoutes seront constitutionnellement dispensées d’autorisation judiciaire.
L’idéologie islamiste n’est pas combattue. Le populisme conservateur, en Égypte comme ailleurs dans le monde arabo-musulman, s’appuie aussi sur la manipulation des atavismes religieux. En plus des nationalismes et des raccourcis identitaires, la foi est aussi un fonds de commerce politique des autoritarismes arabes. Terrorisées par l’alternative laïque qui réhabiliterait le programme et le bilan politiques et leur sanction populaire, tout aussi terrorisées par l’ambition politico-religieuse qui s’autorise l’insurrection et la violence, les dictatures arabes font, au gré des conjonctures, feu de tout bois pour conjurer l’une et l’autre option : répression, conciliation, ouverture contrôlée…
Elles s’exercent régulièrement à accommoder leurs constitutions, réduites à une fonction instrumentale, selon les menaces qui pèsent sur elles, les pressions qu’elles subissent, la nature de leurs ambitions évolutives et les influences internationales. En Algérie, la valse-hésitation au sujet de la révision constitutionnelle, sans cesse évoquée, mais toujours reportée, vient très probablement du fait que le régime n’a pas encore saisi les éléments de projection de son contexte.
Dans ce mouvement de résistance conservatrice du monde arabe, l’Égypte constitue un cas d’école. De fait, elle en a été l’école.
Mustapha Hammouche