Nouvelles du bled

Dans la cour de l’école, une scène est dressée. Un peu fruste, élevée avec les moyens du bord, un peu comme une estrade de bateleur. Au pied, des rangées de chaises en bois. Au milieu, un passage. Côté femmes, ça chatoie de tous les tons et motifs kabyles. Les robes brillent sous la lune qui, parfois, dodeline entre deux nuages qui portent l’orage d’été. Côté hommes, beaucoup de jeunes, une écrasante majorité. Tee shirts fluos, épis gominés. Pendant un moment, on s’est demandé si la représentation allait avoir lieu.
Il pleut un coup et ça s’arrête le coup d’après. La météo aléatoire rendait tout aussi aléatoire la soirée. Finalement, les jeunes animateurs de l’association Azar ( Racine) ont décidé qu’il faut y aller. S’il pleut trop, on arrête. Pas de drame ! C’est une troupe d’amateurs de Makouda, à quelques crêtes de là, qui ouvre les Journées théâtrales d’At-Yanni, qui se tiennent dans le village d’Agouni Ahmed. L’idée est partie est 1993. Nazim Metref, un jeune du village qui participait à une troupe d’amateurs du village, est assassiné à Alger, une des premières victimes de la violence politique qui allait faire les dégâts que l’on sait. Pour exorciser par la culture les démons de cette violence devenue la médiation essentielle dans un pays qui marchait sur la tête, les gars du village ont décidé de le saluer par le théâtre. Alors que ça tire dans tous les coins et que le bruit du couteau rythmait les nuits de cauchemar, ils lancent, eux, un projet insensé : un festival de théâtre dans un village recroquevillé sur ses réflexes. Les premiers qu’il fallait convaincre, ce sont d’abord les gens du village. Quelques uns désapprouvent en silence, d’autres protestent carrément. Mais la majorité comprend qu’il se passe quelque chose d’important. L’année d’après, la violence dans le pays est encore plus grande, la démence s’étend mais la deuxième édition de ce jeune festival de théâtre de plein air se tient, un peu comme une bouffée d’oxygène dans une masse d’air saturée de sang et de poussière. Chaque été, au cours des années de désespoir et de larmes, la formule s’améliore. Un été, on reçoit les meilleures troupes amazighes, certaines jouant en arabe, d’autres en français, et un jury avec des têtes d’affiche comme Sid-Ali Kouiret, Abderahmane Bouguermouh et Omar Fetmouche. Le festival est regardé avec un insert aigu par les professionnels européens qui ne pouvaient s’imaginer que dans un pays travaillé par la violence, où il ne fait pas bon être un homme de culture, et dans un village du fin fond de la Kabylie, on organise un festival avec autant d’exigence esthétique. Le petit festival a droit à une étude de cas dans une grande revue européenne de théâtre. Les difficultés matérielles, les incompréhensions, l’usure et le drame du Printemps noir se conjuguent pour mettre fin au projet. Il est des fois où il vaut mieux reculer. En 2004, l’association Azar essaie de mieux sauter. Après la première représentation, un décès dans le village empêche la suite du programme de se tenir. Cette année, l’association Azar est prise en main par des jeunes du village. Renouvellement total. Deux anciens, Hacène M. et Hamid N. leur donnent un coup de main. Ils font redémarrer la machine. Ce sera des journées théâtrales pendant deux ans après quoi, on recouvre ma formule festival. Ce sont donc les journées de la reprise. Les comédiens amateurs de Makouda jouent dans une pièce intitulée «Yemma». Bonne volonté du tonnerre. Quelques belles trouvailles et surtout le plaisir des comédiens à montrer leur spectacle. Une pièce morale qui provoque, autant que sur la scène, des rebondissements dans le public. Le spectacle est partout. Lorsque le personnage du fils qui va à la recherche de sa mère répudiée injustement par un père en perdition se retrouve dans les bras de celle qui lui a donné la vie, le mélodrame gagne les travées du public. On pleure par ici, on vitupère par là. La dimension cathartique du théâtre ne concerne pas que les comédiens. Il y a quelque chose de partagé dans cette expression détourée du réel. La pluie a tenté quelques assauts vains. La pièce se poursuit vaille que vaille, dans le grésillement du micro qui nous fait parvenir les chants du chœur, les clameurs intermittentes du vent qui déportent les répliques des comédiens pour les porter vers les parois du Djurdjura, les lazzis du public. Les tombes des ancêtres qui portent la mémoire du drame ceignent l’école où le drame est sur scène en compagnie du bon sens. En voyant cette jeune troupe d’amateurs qui croit à ce qu’elle fait dans la cour de cette école, j’avais le sentiment d’assister à une restitution. On restitue, par l’entremise de l’art, leur parole aux ancêtres. J’ai mieux compris, dans le sentiment, ce que voulait faire Kateb Yacine avec son théâtre populaire.

Arezki Metref

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