Votre procès, notre procès
Le rideau est tombé sur le procès Khalifa. Ceux qui en ont suivi les péripéties et partagé ce moment de débordante communion qui envahit le tribunal à l’ultime séance du procès ont été surpris par l’écart entre le verdict prononcé et l’issue escomptée de ce procès.
Le tribunal est revenu avec des décisions qui démentent la bienveillance perçue, ce jour-là, dans l’émotion de sa présidente.
Plus que la compassion éplorée de la présidente, l’annonce du procureur au sujet d’éventuelles poursuites pour des faits qui n’ont pas été retenus par l’arrêt de renvoi a fait croire à un possible soulèvement judiciaire.
On croit savoir que le parquet a tout le temps pour ce faire. Mais, pour l’heure, il est difficile de ne pas le constater : ces premiers condamnés ne pouvaient, à eux seuls, permettre l’avènement du “plus grand scandale financier de l’Algérie indépendante”. Il fallait, pour cela, un peu plus que des caissiers complaisants dans la banque et des ordonnateurs avides dans les entreprises. Quand on oublie de citer, même à titre de témoins, des acteurs de premier plan du mélodrame et qu’on ne néglige pas le moindre figurant, quand des cadres sont condamnés pour avoir exécuté une décision que son auteur “assume”, en se prévalant de la nature coutumière de la gestion arbitraire, il y a comme une inversion de l’ordre des responsabilités à l’heure des comptes.
Il est interdit de commenter un verdict. L’exercice serait en effet inutile, en État de droit, quand on a l’assurance que la décision peut être contestée par les moyens de la justice. Mais le commentaire est aussi superflu, en l’absence d’État de droit, pour une autre raison, cependant : l’iniquité y procède de l’essence du système, et non d’errements locaux de l’institution judiciaire. Et c’est là dans l’impuissance du judiciaire à assurer la justice, pas dans la nature des faits, que tout procès peut devenir politique.
Dans un contexte où la société est encore au stade de revendiquer le principe de justice, il ne s’agit pas de décrier un verdict, mais d’évaluer l’apport d’un procès à cette quête. Et dans cette affaire Khalifa, nous sommes d’autant plus en droit de le faire que le procès aura lui-même proclamé ses prétentions pédagogiques au point d’attirer l’attention nationale sur ses débats, d’arracher des applaudissements à la salle et des compliments à des inculpés sur lesquels pesait un lourd réquisitoire. Quand l’écart entre la réalité et l’espérance est à ce point notoire, la déception n’en est que plus grande.
On aura vérifié la frivolité des promesses de redressement dans le contexte qui est nôtre. Et le procès de Blida n’aura pas réconcilié la justice subie avec la justice espérée. Mais, il a tout de même le mérite d’avoir eu lieu. Et d’avoir, volontairement ou non, permis à la société d’organiser son procès Khalifa, parallèle, diffus, maladroitement peut-être, mais richement, pour ainsi dire, instruit et surtout libéré du carcan de l’arrêt de renvoi.
Loin du verdict, dans l’impuissance certes, la société s’est fait encore une fois sa propre opinion. Très probablement la même que celle d’avant le procès.
Mustapha Hammouche