Le mythe au savon
Les mythes ont la peau dure. Je vous avais déjà parlé de celui qui nous habite depuis si longtemps : le calife est bon, ses ministres sont mauvais. Zohra Drif nous a fait une brillante démonstration de son actualité dans son intervention au Sénat : le bon peuple du calife ne croit plus dans les ministres qui trahissent le bon calife. Elle nous a enfoncé dans la tête ce que nous y portions déjà depuis si longtemps. A Oran, nouvelle démonstration de la vivacité de ce mythe, le bon peuple se plaint au calife des turpitudes d’un gouverneur de province à propos de l’affectation des logements sociaux.
Derechef, le bon calife écoute le bon peuple et manifeste publiquement son mécontentement de la conduite de ses vizirs. Il commande une enquête sur l’affaire. Le peuple a eu l’oreille du calife. Gouverneurs et vizirs n’ont qu’à bien se tenir. Il n’est pas besoin d’approcher le président pour l’alerter sur des dysfonctionnements. Dans les émeutes ou les protestations, les manifestants font de la casse pour attirer l’attention du président, pour se faire entendre de lui. Ils ne cherchent pas à changer le régime ni le système et encore moins l’Etat. Ils cherchent au contraire à obtenir plus de cet Etat, de ce système, de ce régime tels qu’ils les conçoivent et les comprennent : c’est-à-dire à avoir plus de présence du président. L’idéal politique d’une grande partie de notre peuple est que le président soit instantanément au courant de tout ce qui se trame dans le moindre des villages. Alors, vraiment nous aurions la justice. Le président-papa ne permettrait jamais que ses subordonnés abusent de sa confiance pour se livrer à de petits jeux. Le mythe, tout mythe qu’il soit, a quand même besoin d’un minimum de fonctionnalité pour perdurer. Il doit fournir au peuple, qui y croit, une satisfaction quelconque. Tout le mystère des mythes est là. Les gens n’ont pas besoin de la résolution de leurs problèmes pour continuer à y croire. Non. Pas du tout. Il leur suffit qu’ils aient la preuve que leur mythe est vrai. Quand le président accuse ses ministres ou ses gouverneurs de lui mentir, de lui cacher toute la vérité ou de faillir, il donne la preuve vivante de la vérité du mythe : il est le bon calife et ils sont les mauvais vizirs. Le bon peuple pourra se répéter : on vous l’avait dit, ils lui mentent ; il ne savait pas ; il va les savonner.