Le Parlement face à la suspicion historique

Dans moins de 60 jours, l’électeur algérien sera sollicité pour la désignation des députés. Invitation assurément formelle et qui ne contribuera pas à changer d’un iota le destin de ce pays. Là où l’alternance aux pouvoirs n’est qu’une pure vue de l’esprit et, pire encore, une escroquerie intellectuelle que les clercs de service se chargent ponctuellement de valider. En effet, c’est à travers les avatars de notre parlementarisme que l’on peut, le mieux, mesurer le malentendu historique qui plomba cette nation dès sa résurrection.

Les élites politiques des premières années de l’indépendance se souviennent bien de ce qu’il advint du premier président d’un Parlement national ainsi que certains députés prestigieux. L’un comme les autres ne s’étaient-ils pas opposés aux accoucheurs du totalitarisme alors à la mode et cela par scrupule démocratique ? Ferhat Abbas, envoyé au goulag saharien d’Adrar, qualifiera cet épisode décisif de «confiscation» de l’indépendance, alors que Aït Ahmed choisira l’affrontement qui le mènera aux geôles d’El- Harrach. Malgré toutes les thèses qui s’efforcent de relativiser a posteriori ce conflit inaugural pour le pouvoir, il reste cependant que celui-ci fut, dès le berceau, frappé de l’irrémédiable tare de l’intolérance.

A chaque succession, elle fut incarnée par un homme et une camarilla qui le protège. Historiquement, l’Etat lui-même fut à toutes les époques inapte à promouvoir les libertés publiques De leur temps, les Ferhat Abbas, Aït Ahmed et bien d’autres moins emblématiques s’étaient alors élevés contre la dévaluation du combat patriotique et le détournement du novembrisme fondateur. En cela, ils furent par la suite rejoints par d’autres hommes politiques en rupture de compagnonnage. Mais ces dissidences souvent personnelles ne pesèrent pas significativement sur un système de plus en plus hostile à la contestation politique. L’Etat immobile et pétrifié ne pouvait changer lui- même de nature.

Il était moins un Etat de citoyens qu’un «état de fait» consolidé par un coup d’Etat (1965). En somme, le carcan efficace pour se moquer avec beaucoup de morgue de l’utopie d’un Etat de droit. Ce constat largement partagé et publiquement déploré durant la première décennie du boumediénisme fut même l’objet de violentes critiques qui ne s’épargnèrent guère les attaques AD Hominem sur quelques personnalités dont l’unique tort fut de leur rappeler cette infidélité foncière à la déclaration de Novembre 1954. On les brocarda avec beaucoup de vilenie en les traitant de vulgaires agitateurs aigris «uniquement doués à pétitionner à partir de l’étranger ou à rédiger des tracts qu’ils appellent manifestes », leur reprochait-on.

Une fois encore en 1976, un respectable septuagénaire appelé toujours Ferhat Abbas fut une nouvelle fois assignée à résidence surveillée pour s’être exprimé dans le cadre du débat sur la charte nationale. Dévitalisé politiquement, le pays survivra en suspens jusqu’à cet octobre 1988 avant de sombrer à nouveau dans les affres d’une violence religieuse qu’il n’a pas su prévoir. La démocratie restait donc à inventer au milieu de l’enfer de la décennie 90.

Et c’est justement de cette époque que date la nouvelle thérapie de charlatans qui nous administra un ersatz de représentativité à travers ces fameuses deux chambres et ce pluralisme de pacotille. Le formalisme prenant le pas sur la réalité tangible d’une institution légiférant et autonome l’on pouvait quand même s’en accommoder au nom de «l’apprentissage» et surtout, tant que les interférences n’étaient pas flagrantes et les injonctions trop pesantes. Hélas, il fallait vite déchanter et cesser tout crédit à ces chambres dociles. Les vieilles coutumes ont vite fait de redevenir à la mode malgré les ravaudages constitutionnels et la comédie des urnes. Elles ont même contribué à clochardiser ces assemblées dès l’instant où elles s’ouvrirent à tous les clientélismes possibles.

La sinécure du maroquin de député et les privilèges qui l’accompagnent constituent aujourd’hui le déplorable spectacle que se donne de lui ce Parlement. De Ben Bella à Bouteflika en passant par Boumediene, Chadli et Zeroual, rien n’a changé en vérité dans la façon de concevoir le pouvoir. Et un demi-siècle de souveraineté plus tard, les mêmes procédés ont cours. Ceux qui brident notamment le parlementarisme agissent avec autant d’efficacité même si entre deux successions l’on a voulu aménager quelques soupapes. Quand bien même il serait risqué d’établi des parallèles entre de multiples contextes historiques différents, il reste pourtant une donnée constante qui atteste d’un même système de pensées et d’une filiation politique partagée. C’est qu’il ne faut pas oublier que certains acteurs des premières années de l’indépendance sont toujours présents dans les rouages de l’Etat. Une longévité étonnante qui avant de valoriser leurs compétences démontre que l’esprit clanique qui soude leur solidarité est bien plus fort que les réformes qu’ils prétendent conduire.

La saine séparation des pouvoirs à travers laquelle se reconnaît une bonne démocratie demeure leur crainte cardinale. Le président actuel ne diffère guère de Boumediene et a fortiori du Ben Bella de 1963. Il partage avec eux la volonté de ne rien céder sur son omnipotence. Cette tentation de continuer à avoir le même contrôle sur les institutions. A la veille d’une seconde législature sous sa présidence, la qualité de ce Parlement est loin de ressembler au credo qu’il rappelle en toute occasion. Avec lui l’émancipation de la chambre des députés est devenue une plaisanterie de salons. Une illusion que même les partis en lice admettent comme une fatalité. En s’accommodant de ce statut d’appendice légiférant sur demande, toutes les APN ont intégré dans la logique de leur fonctionnement le principe indépassable de l’allégeance.

Ainsi, dans les faits l’Algérie n’a jamais eu de véritable Parlement, hormis la courte parenthèse qui vit siéger les Ferhat Abbas et Aït Ahmed. Souvenons-nous bien, qu’en septembre 1963 une Constitution fut rédigée hors de l’hémicycle et adoptée sans débat par une Assemblée au garde-à-vous. Ben Bella inaugurerait alors le despotisme algérien lequel a depuis toujours habillé tous les régimes en dépit de quelques variantes. A l’origine donc, il y eut cette suspicion qu’un universitaire maghrébin explicita lumineusement. «En septembre 1963, écrit-il, les débats portèrent sur la rédaction de la Constitution.

Quoiqu’un tiers des 196 membres de l’Assemblée nationale fut constitué de chefs de guérilla ayant reçu un minimum de scolarité, certains membres prééminents tels que Ferhat Abbas et Aït Ahmed se proposèrent de rédiger le texte eux-mêmes et d’exiger le contrôle du gouvernement. Or déjà à cette date, le gouvernement de Ben Bella tranchait toutes les questions importantes sans jamais consulter l’Assemblée. La crise était évidente.» Depuis, jamais plus l’appareil législatif ne se sépara de la sphère d’influence d’un exécutif pesamment directif. La messe était dite en ces temps-là, même si de nos jours l’on s’efforce de gommer cette hypothèque historique par le seul artifice du clientélisme. C’est-à-dire ces partis qui s’apprêtent à faire des offres de services.

Boubakeur Hamidechi

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