L’art de la surprise
Soyons gentils. Admettons que les gouvernants soient inefficaces, non parce qu’ils sont incompétents ou se désintéressent de ce qui se passe en dehors du Club des Pins, mais simplement parce qu’ils ne savent pas. A chaque visite de chantier, à chaque tournée et à chaque inspection, on ne leur montre que le bon côté des choses. On cache les misères et les sincérités et on pousse de l’autre côté du grillage tout ce qui, hommes ou choses, risque de déplaire. A commencer par le président de la République lui-même, qui lorsqu’il « visite » une ville, tout y est prévu à l’avance. Il ne voit pas que les jolis arbres déployés sur son passage ont été plantés la veille, que la peinture sur les murs est encore fraîche, que la petite fille qui l’embrasse en signe de bienvenue vient d’être nourrie et maquillée et que les chiffres qu’on lui montre ont été truqués la semaine d’avant. Question à l’heure des retards de chantiers et des utopies de paradis avalées : pourquoi n’y a-t-il pas de visites surprises, seule manière de débusquer ceux qui ne travaillent pas et de constater ce qui n’avance pas ? Parce que les dirigeants n’aiment pas les surprises. Ronronnant sur leurs propres promesses, ils préfèrent croire que tout va bien puisque ce sont eux qui nomment les hommes chargés de faire que tout aille bien. D’ailleurs dans un autre registre, il n’est pas étonnant que les attaques terroristes les plus abouties sont dues à l’effet de surprise. Assoupies sur leurs convictions, slogans de paix retrouvée et discours surnaturels, les autorités n’ont pas le temps de voir le problème arriver. Soyons méchants ; les gouvernants et le président lui-même, quand il fait ses tournées, sait très bien que tout est organisé pour faire comme si. Lui aussi fait comme si. Les dirigeants n’aiment pas l’imprévu et, d’une manière générale, détestent les futurs qu’ils ne contrôlent pas.
