La négation de la vérité

Ainsi donc, nous dit-on, l’alternance est désormais envisageable et le président Bouteflika, pour toutes sortes de raisons qu’on s’ingénie à lui inventer, ne devrait pas briguer un troisième mandat ! Si la niaiserie en politique exposait ses auteurs aux poursuites judiciaires, il ne suffirait pas des prétoires d’Algérie pour tous nous y faire juger.

Trois ans après le mélodrame du 8 avril 2004, il semble que nous n’avons toujours rien compris aux subterfuges par lesquels s’éternisent les autocraties dans nos pays. Les puristes du théâtre rétorqueront, avec raison, que l’inventeur du mélodrame moderne, René de Pixérécourt, avait averti qu’”un niais est aussi nécessaire au mélodrame qu’un tyran est indispensable”.

Je crains fort, cependant, que sur la scène algérienne, le surnombre d’impénitents crédules que nous sommes, opposants vaniteux et journalistes ingénus, n’ait déjà démoli ce postulat. Notre candeur était déjà contagieuse, voilà qu’elle devient incurable. Au canular de “l’homme haï par l’armée” en 2004, avait succédé celui de “l’homme malade” en 2005, puis le bobard du “président mourant” en 2006 avant qu’en 2007, on ne nous convie à l’autre variante du vaudeville, “le président malade et démissionnaire”. L’ennui dans l’affaire n’est pas que le microcosme politico-médiatique crée sa propre mythologie.

On peut, après tout, fort bien concevoir qu’une société angoissée ait besoin de se rassurer par des duperies classiques et passagères qui brisent la monotonie du désespoir. L’embarras, ici, est que nous produisons, avec talent du reste, les mécanismes de l’auto-persuasion : comme s’il ne nous suffisait pas de croire aux fables à la mode, nous éprouvons le besoin de nous en faire les courtiers zélés auprès de la population.

Nous avons tous en mémoire ce candidat démocrate à la présidentielle de 2004 qui entamait ses meetings par cet invariable serment fougueux : “Je jure par Dieu que Bouteflika ne passera pas.” Il lui fallait bien de la certitude pour se risquer avec autant d’assurance au parjure et au discrédit. Et c’est là, dans cette aptitude à convertir nos meilleurs amis en parfaits camelots de leurs tromperies, que les architectes de la propagande mensongère sont les plus redoutables. Qui mieux qu’un opposant républicain pour vendre à l’opinion républicaine une vanne du pouvoir ?

Or, trois ans après avril 2004, cette manipulation des élites se poursuit avec le même succès, pour le même objectif, assurer le vernis démocratique au régime, et avec la même technique, l’autopersuasion d’une “vérité cachée” connue des seuls “initiés” et la négation de la vérité qui s’impose, chaque jour, sous nos yeux mais qui ne serait bonne que pour l’opinion roturière. L’inconvénient est que c’est toujours la vérité roturière qui finit par se vérifier. Ainsi pendant que d’éminents esprits nous rebattent la thèse du “président malade et démissionnaire”, que dit le principal intéressé au quotidien espagnol El Pais? Trois vérités significatives que le bon peuple connaît déjà. D’abord que “la question de l’amendement de la Constitution est à l’étude.”

Ensuite, à la question de savoir s’il compte briguer un troisième mandat, que “cela regarde les Algériens”, alors que la réponse qui s’imposait est : “La Constitution ne le permet pas.” Enfin, au journaliste qui l’interrogeait sur sa santé, Bouteflika n’a eu aucune hésitation : “Grâce à Dieu, je me porte très bien.” Tout cela débouche sur une information capitale : la décision de postuler pour un troisième mandat est déjà prise.

Mais nos cerveaux éclairés, sous le charme de l’endoctrinement diabolique et celui de leur propre vanité, vont s’employer à nous convaincre du contraire. Autrement dit, pendant que le pouvoir adresse aux masses un message massif et cohérent, les préparant à des échéances que lui seul maîtrise, des officines se chargent de produire un discours de diversion en direction de ses adversaires afin de les neutraliser et laisser ainsi au régime l’initiative politique.

Je ne vois pas d’autre but tactique pour les propagandistes du pouvoir à envoyer les démocrates dans les roses que celui-là. Rappelons-nous : la théorie du “président malade et démissionnaire” avait déjà permis au pouvoir, en 2005, d’avorter les grosses contestations autour des effets catastrophiques de la Charte pour la paix.

Val-de-Grâce avait étouffé le scandale politique. Le régime s’est servi de nouveau, en 2006, de la théorie du “président malade et démissionnaire” pour briser le débat houleux qui commençait à s’installer autour du projet d’amendement de la Constitution. A quoi bon débattre, se disait-on, d’un projet mort-né, compromis par la santé défaillante du président ? Dans les deux cas, le régime a obtenu un répit salutaire qu’il a su habilement exploiter.

Car aujourd’hui que l’opposition a baissé la garde, le madré chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem, peut sortir du bois, remettre au goût du jour le dossier de la révision constitutionnelle et même annoncer qu’il sera au programme de “la prochaine mandature” de la prochaine Assemblée nationale.

Et nous y voilà ! Comme en 2004, le régime va utiliser l’opposition républicaine pour reconduire “légalement” et dans le cadre du “pluralisme”, le président Bouteflika à la tête du pays ! Ce sera un hémicycle où siégeront les députés du RCD, du PT, de l’ANR, du MDS, peut-être même d’une fraction des arouch, qui va voter pour la révision constitutionnelle et offrir un troisième mandat à Bouteflika !

Les parlementaires du FLN, du RND et du MSP auront assuré la majorité, nos amis démocrates auront garanti la crédibilité de la “démocratie parlementaire algérienne”. Encore une fois, un des subterfuges par lesquels s’éternisent les autocraties dans nos pays, aura magnifiquement fonctionné. Est-il trop tard ?

Sans doute pas. Au-delà des controverses du moment sur le boycott ou la participation aux législatives, il convient en urgence de s’interroger sur la mission de l’opposition politique algérienne désormais à cheval entre deux vocations : celle de faire-valoir au régime qui s’en sert pour s’éterniser ou celle d’artisan d’une pensée autonome, libre, profitable à long terme. Quelle autre valeur mieux partagée que cette pensée-là, quel autre meilleur ciment, pour bâtir l’union des démocrates algériens ?

Et puis, cette pensée en plus d’être fédératrice a surtout l’avantage d’être conforme à l’état d’esprit de la population. C’est important, diable ! Il est quand même cocasse qu’une opposition participe à un scrutin que les citoyens, eux, s’apprêtent à boycotter ! A se rapprocher du peuple on ne risque, au pire, que de perdre son temps. A s’en détacher, on risque la défaite définitive, celle dont on ne se relève jamais : perdre son âme.

Et revoilà “Bouteflika, une imposture algérienne” !

Neuf mois après avoir quitté les geôles d’El-Harrach, je redonne vie au livre qui m’a conduit en prison. Une seconde vie. Parce que, sans doute, il y a un temps pour l’injustice et une vie pour la vérité. Et qu’il nous faut bien parler, toujours parler, de ces subterfuges par lesquels s’éternisent les autocraties dans nos pays. Durant trois jours, je dédicacerai, Bouteflika, une imposture algérienne (Editions Picollec) au Salon du livre à Paris (1).

Certains y verront de la bravade. Ils n’auraient pas tout à fait tort. Car en plus d’être une façon de donner rendez-vous aux amis que je n’ai pas encore eu le temps de revoir, ces journées sont aussi, je l’avoue, la façon que j’ai choisie de désacraliser l’arrogance, de narguer le désenchantement et de donner raison aux compagnons qui ont formé, durant ma détention, cette solidarité frêle et têtue qui m’empêcha de désespérer de mes rêves nourriciers. Ma manière de leur dire, à ces femmes et à ces hommes que, sans doute parce qu’elles étaient rares, ces amitiés furent exceptionnelles. Leur redire, et je le redirai dans un deuxième livre en préparation, qu’elles ont suffi pour crever la brume noire de l’injustice, pour briser le tête-à- tête entre l’homme esseulé et l’infinie puissance du mensonge. Elles m’ont donné la force de reprendre ma route.

Qu’elles aient eu le visage anonyme du pays profond couvrant ses prisonniers d’opinion de sa fraternité généreuse, qu’elles aient eu les traits de mes inoubliables codétenus d’El Harrach, la mine fidèle de mon copain et néanmoins avocat Abdellah, qu’elles aient emprunté la tête frondeuse de mes complices du Soir, le portrait des amis du Comité Benchicou pour les libertés ou celui des compagnons du Collectif pour la liberté de la presse, ces amitiés intraitables avaient surtout l’effigie imposante et résolue d’une Algérie dont le cœur battait toujours.

Et c’est ce cœur blessé, trahi, mais jamais désespéré qui, écoutons- le, sonne toujours comme le tocsin de l’histoire pour les bourreaux, comme une boussole indiquant, à travers le brouillard des tyrannies, des portes qui pourraient s’ouvrir. Alors oui, si c’est une bravade que de remettre en scène, au Salon de Paris, un livre qui a remué la plume dans le passé contestable d’un homme aux idées hégémoniques et qui prétendait, à l’époque déjà, user de ces subterfuges par lesquels s’éternisent les autocraties dans nos pays, alors oui ce serait une bravade légitime et singulière. Elle m’aura été permise par ma terre.

Celle qui enfanta ces bravoures qui m’ont tendu la main dans la nuit, celle qui, toujours, nous a invités aux délires déchirants, comme ce livre, Bouteflika, une imposture algérienne, qui m’a valu de souffrir deux années dans l’obscurité du cachot et dont je continue à croire qu’il aura été la déraisonnable déclaration d’amour à la vérité que tout homme prétendant à changer le monde doit avoir fait au moins une fois dans sa vie. Cette terre nous l’a toujours dit : nos chimères sont, décidément, ce qui nous ressemble le mieux.

Mohamed BENCHICOU

(1) Mohamed Benchicou, directeur du Matin, auteur de Bouteflika une imposture algérienne (Editions Picollec) dédicacera son livre pendant trois jours au Salon du livre à Paris, porte de Versailles, stand des Editions Picollec.

Les séances auront lieu :

* Vendredi 23 mars de 20 heures à 22 heures
* Samedi 24 mars de 11 heures à 13 heures
* Dimanche 25 mars de 13 heures à 15 heures

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