L’invitation à la décharge

Je vous disais que ces écoliers ont pris l’habitude de fouiller les décharges. Que font-ils ensuite des objets ? Je ne le sais pas. Peut-être les vendent-ils à Rabie, mais j’en doute. Rabie est un solitaire. Comme d’autres ont choisi la hargua, lui a décidé de ne plus faire partie de nous. Il est entré dans le monde plus que fermé de la ferraille, dans le refus radical de tout ce qui agite son environnement : le bluff, l’apparat, la recherche effrénée des aubaines.
Plus insaisissable que le vent. J’ai envie d’écrire libre si l’idée de liberté n’était pas aussi complexe. Libre, en tout cas, de beaucoup de contraintes sociales, de beaucoup d’idées reçues, de beaucoup de tabous… Donc, je ne sais pas ce qu’ils font de leur «récolte». Il faut juste préciser que ce quartier est devenu une immense décharge. Au début, il y avait la spéculation foncière. Des centaines de lots de terrain attribués partout. Près de la route principale, puis vers les chemins secondaires, ensuite vers des sentiers muletiers. Le moment est venu, avec la pénurie des terrains, de découper les versants des collines, puis sur leurs pentes abruptes, puis les berges escarpées des oueds. Seuls les films sur la ruée vers l’or peuvent donner une idée de la curée. Des membres de l’APC ont pris jusqu’à 17 lots de terrain. Ils en sont arrivés à utiliser les plantons, les ouvriers de la voirie, leurs épouses, leurs enfants, leurs parents comme prête-noms. «Tu prends le terrain pour moi, je le paye, le moment venu tu le vends et tu prends ta part.» Ce n’est pas compliqué. Obtenir un terrain, c’est mettre la main sur une fortune, pourvu que vous soyez placé au bon endroit, au bon poste et au bon moment. Il ne reste, bien sûr, pas un mètre carré de libre. Les enfants sont obligés de faire des distances considérables et épuisantes pour rejoindre l’école. Mais le pire, le pire c’est les ordures. Impossible de couvrir l’espace considérable du nouveau bâti avec les moyens de l’APC. Alors les ordures se sont amoncelées dans un coin, puis les gens ont commencé à les brûler, puis les bouteilles, les sacs, les objets les plus divers se sont dispersés de plus en plus loin des lieux censés recueillir les ordures. Puis l’APC s’est mise à attribuer les terrains inconstructibles le long de la conduite principale de gaz pour des commerces lourds et interdits sur une conduite de gaz au vu et au su des services de sécurité. Sonelgaz aurait saisi la justice en vain malgré le danger d’explosion induit par les trépidations des camions. L’information vraie ou fausse a jeté le trouble et solidement établi la réputation d’impunité de cette APC. Alors que reste-t-il aux gosses ? Juste une invitation permanente à profiter de l’immense poubelle sociale et physique qu’est devenu leur quartier. La dégénérescence de l’Etat, c’est cela aussi.

MOHAMED BOUHAMIDI

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