Tragédie morale
En apprenant qu’un juge d’instruction a convoqué le précédent président de l’Assemblée nationale dans le cadre d’une affaire de dilapidation de deniers publics, qui concerne la somme record de quatre mille milliards de dinars, on ne peut s’empêcher de penser au taux record d’abstention aux élections législatives qui ont marqué la fin de mandat de Saïdani.
Bien sûr, l’ancien président de l’APN devait être entendu comme simple témoin. Mais depuis le procès Khalifa, on sait que le statut de témoin, s’il peut protéger de toute sanction, ne peut laver de tout soupçon.
C’est vrai que, comme disait la juge Brahimi, si “tu es rentré témoin, tu sortiras témoin”, mais aussi vrai qu’il n’est pas permis de commenter un verdict, il est permis d’avoir son opinion, quitte à la garder pour soi. Cela donne la démission nationale que l’on sait et qui s’est exprimée par une massive abstention. L’opinion publique est faite d’opinions personnelles qui s’expriment ; la dictature est faite d’opinions réprimées. En constatant que l’ancien chef de la représentation nationale est concerné, de près ou de loin, par une affaire aussi grave, et même si le principe est de ne pas anticiper sur l’issue d’une instruction ou d’un procès, on ne peut que se souvenir de sa déclaration satisfaite et impertinente à l’endroit de ses pairs qui étaient supposés l’avoir “choisi” pour occuper le perchoir de l’hémicycle : “Je remercie le président de la République pour la confiance qu’il a placée en moi.”
Et comme la GCA, créée en 1998, n’est autre que l’organisme de gestion des fonds de développement agricole, c’est-à-dire du PNDRA, depuis 2000, on ne peut s’empêcher de remarquer que la pomme de terre est à soixante dinars, malgré un effort budgétaire soutenu d’appui au secteur agraire.
Tout semble se passer comme si là où se crée une caisse, atterrissent, tels des rapaces attirés par la pestilence de la charogne, d’avides rapaces. L’espèce est finalement trop nombreuse pour ne pas admettre qu’il y a un processus de corruption généralisée qui gangrène la société.
À observer que ce sont souvent ceux qui sont “élus”, choisis ou sélectionnés pour s’occuper de nos ressources qui se servent en premier et sans retenue. La perversion de la responsabilité se mesure parfois à la vulgarité du procédé utilisé : dans le cas de la GCA, on aurait décaissé et encaissé le montant de projets tout simplement fictifs.
Décidément, nous n’en sommes pas au bout de nos peines dans ces affaires de dissipation. Après les banques, privées et publiques, le scandale BCR, après le foncier de l’Algérois, où s’arrêtera-t-on ? Déjà quarante-six inculpés dans une affaire qui, visiblement, est loin d’avoir dit son dernier mot.
L’abondance des ressources a cet effet inattendu, en plus de ne pas produire du développement, de lancer la société en général, et sa superstructure en particulier, dans un infernal cycle de corruption.
Une perte effrénée de valeurs semble frapper le pays. Et à la crise politique et sécuritaire succède une crise morale. Une autre “tragédie nationale”.