SDF éternels et incohérences de l’Etat

De la cité des Planteurs d’Oran aux bidonvilles de Constantine la même détresse se décline désormais par la violence. Ce serait donc tout un pays qui est mal logé malgré les promesses tapageuses de nos dirigeants qui claironnent depuis 1999 qu’ils réaliseront en moins de cinq années un million de logements. Terrible désenchantement de ce peuple de SDF trompé et qui le fait savoir en manifestant dans les rues. Car ce n’est plus un chagrin collectif mais de la pitié pour sa propre déchéance allant jusqu’au suicide.
Insoutenable sentiment de rabaissement moral que cette multitude de gens respectables en apparence mais déclassés et vaincus d’avoir eu longtemps à subir la magouille et l’iniquité qui les confinent dans des attentes hypothétiques. Ah ! Ce spectacle des couches sociales «intermédiaires» exclues des bénéfices d’une douteuse politique sociale à géométrie variable et dans le même temps sans moyens pour négocier un toit auprès de la grande spéculation immobilière. Cette faune qui eut le flair de transformer la «pierre publique» en or massif. Elle a su faire main basse sur le patrimoine étatique à peu de frais pour ensuite le revendre à des coûts prohibitifs. Regardez-les, ces salariés coincés entre le double Smig 20 000 DA) et les grandes fortunes. Eux qui aujourd’hui, peinent à plaider par dossiers interposés leur «éligibilité» — et non plus leur droit — à un modeste refuge dans d’hypothétiques tours qui feront une fois encore la fortune de la spéculation. Mais regardez-les donc aux portes des OPGI comment ils ont cessé de grandir dans leur propre estime en concédant ce qui leur reste de dignité pour convaincre le vis-à-vis, qu’eux aussi méritent de rentrer chaque soir dans un « chez soi ». Et qu’il leur importe peu que celui-ci soit de haut standing ou de vulgaire boîte à sommeil. Signe des temps, ce sont toutes ces franges sociales paisibles, souvent laborieuses et certainement inaptes aux techniques du lobbying qui constituent désormais notre véritable panel de SDF. Ouvriers hautement qualifiés, fonctionnaires au-dessus de tout soupçon, cadres d’entreprise en début de carrière ou trentenaires vivant en couple, tous ont en commun le peu gratifiant statut d’être inclassable. Comprenez par là qu’ils ne sont ni un paramètre social selon le catalogue de la «solidarité» version régime ni une bonne clientèle solvable politiquement, voire susceptible d’être source de «plus-value» pour les Napoléon du béton. En un mot, ils n’intéressent, a priori, pas les stratèges de la prédation sous toutes ses formes et ses objectifs. N’étant pas le bon levier de l’allégeance pour accéder à la rente immobilière, ils sont ignorés superbement par la science politique du saupoudrage local qui, pour gagner de fausses paix, décrète la concussion et l’omerta par l’octroi de logements. Tant il est vrai que dans ces terres d’Algérie, la valeur étalon n’est ni la fructification du capital ni l’esprit d’entreprise mais plutôt l’accaparement du parc immobilier et le détournement para-légal du foncier. Les dignitaires du régime sont à ce sujet très représentatifs dans la manière avec laquelle ils ont conduit leurs affaires domestiques et surtout, comment ils sont parvenus à soustraire le secteur de l’immobilier à toute transparence trente années durant. Assez tôt, le bâtiment et ses inputs (ciment, RAB…… ) ont été au centre des enjeux et, par voie de conséquence, contribué à marquer des territoires et afficher des appétits. A l’ombre de l’Etat, la politique du logement a, de toutes les époques, été une chasse gardée afin d’entretenir une clientèle clanique et opérer des transactions sans …traces. Anecdotiquement, toutes les provinces de la régence ont eu à raconter avec dérision l’enrichissement de la chefferie locale qui eut, par exemple, à troquer une attribution de logement contre une voiture d’importation ! A un autre palier, le pouvoir discrétionnaire et le trafic d’influence ont même permis à des dignitaires de réaliser des «plus-values» financières à partir de zéro centime. Et cela par la seule grâce de la «convertibilité» d’un arrêt d’attribution de logement. Ce vaste réseau qui s’est mis en place pour exploiter le filon du logement a évidemment marginalisé les segments de la société à laquelle était pourtant destiné l’investissement public. De par leur solvabilité, leur stabilité professionnelle et leur solide insertion urbaine, ces segments sociaux auraient dû en bonne logique être les uniques bénéficiaires. Or, il en fut autrement dès lors que des considérations de stratégie politique prirent le pas sur la satisfaction rationnelle des besoins des citoyens. Le logement et sa distribution financeront alors des opérations démagogiques puis seront l’objet d’une vaste fumisterie appelée loi sur «le droit à la propriété individuelle », légalisant un pillage des grands biens de l’Etat et clochardisant le déjà fragile cadre de vie que sont les immeubles collectifs, livrés sans syndic. Le trafic immobilier prendra son essor à partir de ce moment lorsqu’on a vu de modestes F3 changer trois fois de propriétaire en moins de cinq ans. Pendant ce temps, des logements neufs en voie de construction étaient monnayés par avance et à grande échelle et le fameux fichier de demandes dont se vantait l’OPGI n’était plus d’aucun usage. Sommées d’attendre donc leur tour ou le prochain quota, les catégories sociales en question patienteront vainement. Et pour cause, entre les requins de la spéculation immobilière et le traficotage des élus autour de quelques «toits» à distribuer, il n’y avait pas de place pour ces gens qui, sans être «sinistrés», n’en sont pas moins dans la rue. Et c’est leur désespoir muet que l’on voit s’afficher aux portes des AADL, ce nouveau sésame pour quitter le calvaire. Et pourtant, ils ne manquent pas d’humour au second degré ces candidats désespérés. Ainsi, l’un d’eux nous rapporte, sous le sceau de la vérité, qu’il y avait un génial jeune homme à Constantine, qui fatigué de partager avec ses parents le même toit alors qu’il était père d’une nombreuse progéniture, se décida à brader sa carrière de «prof» et s’en alla créer tout simplement une agence …. immobilière. Un an plus tard, il vit déjà dans une villa, paraît-il, et continue à spéculer sans vergogne dans les transactions immobilières. Voilà un homme qui a trouvé la recette pour passer de l’autre côté de la file d’attente. Significative parabole qui nous remet en souvenir un personnage romanesque créé, il y a presque un siècle par l’écrivain américain Sinclair Lewis. Babbit de son nom, est un homme devenu important par la grâce de la spéculation immobilière. Le Babbit qui n’était au départ qu’une peinture de mœurs de l’Amérique saisie par la fièvre du logement devint rapidement un texte culte et accédera à l’universalité au point que le patronyme du personnage deviendra un adjectif qualifiant un type de comportement. Ainsi, la chronique de l’époque rapportait que Babbit a fini par désigner un rapace en affaire et qui se drape pourtant de moralité sociale et de bonne conduite ostentatoire. Il y eut ce Babbit de légende qui avait permis d’exercer la pire dérision à l’endroit de la tromperie et de l’affairisme. Ainsi, nous dit-on, il n’était pas rare d’entendre quelqu’un lancer à la cantonade que «ce n’est qu’un Babbit» pour qualifier un spéculateur véreux. Chez nous aussi, nous avons commencé il y a bien longtemps à faire connaissance avec ces Babbit de l’immobilier sauf que les nôtres sont pires, car ils se recrutent dans le sérail de la pauvre République et qu’ils ne prennent aucun risque à s’enrichir avec l’argent de l’Etat. C’est-à- dire du contribuable. C’est pour cette raison que nos Babbit ne sont pas seulement coupables de tromperie dans les transactions, mais d’odieuses pratiques pour avoir détourné à leur profit les modestes toits de la communauté.

Boubakeur Hamidechi

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