L’interminable explosion

a rencontre le 5 juillet autour de « La bataille d’Alger » fut un moment de redécouverte du film, décidément inépuisable. La présence de la veuve de Gillo Pontecorvo et de ses deux enfants, celle de Yacef Saâdi, initiateur du projet, de Mario Morra, monteur, ont donné lieu à un festival de révélations et d’anecdotes, toutes aussi succulentes les unes que les autres. L’auditoire n’a pas été en reste. Ainsi ce monsieur qui a pertinemment fait valoir un aspect négligé du film ou, disons, un aspect qui a pris du sens avec le temps. En effet, au-delà de son propos, le film, tourné en 1965 dans les décors d’Alger, est devenu aussi, à la longue, un formidable documentaire sur la ville et notamment sur La Casbah, lieu central de son action. Bien que la cité historique ait déjà entamé à l’époque son processus de déliquescence, bien qu’elle ait été filmée en noir et blanc, en montage saccadé et à travers des scènes pour la plupart dures — sujet oblige —, elle apparaît aujourd’hui, tel un personnage principal du film, encore parée des restes de sa splendeur légendaire. Et la comparer à ce qu’elle est devenue aujourd’hui, il y a photo justement, puisque la pellicule l’a gravée pour la mémoire. Là-dessus, Yacef Saâdi a raconté comment la production avait dû quasiment reconstituer la rue de Thèbes, là où des ultras, membres de la police française, avaient posé leur fameuse bombe. De même pour le 5, rue des Abderrâmes où périrent Ali la Pointe, Hassiba Ben Bouali, Petit Omar, neveu de Yacef, et une vingtaine de voisins, dont huit enfants. Ces bâtisses reconstituées pour le tournage durent, bien sûr, à nouveau exploser sous l’œil de la caméra. Aujourd’hui, en déambulant dans les venelles de La Casbah, on peut se demander comment, en dépit de tant de plans annoncés, en dépit d’un classement au patrimoine de l’humanité, en dépit des discours, des promesses, en dépit des moyens énormes dont dispose aujourd’hui l’Algérie, en dépit du fait que c’est cet endroit, El Djazaïr, qui a donné son nom à la capitale, au pays tout entier, à chacun de nous en fait, puisque l’on nous désigne comme « Algériens » , en dépit de tout cela et d’autres choses encore, comment donc, un pays si riche n’a-t-il pas réussi en 45 ans à faire finalement mieux qu’une équipe cinématographique en quelques mois ? Pouvons-nous plus longtemps supporter cette lente et interminable explosion du cœur de notre histoire ? Bientôt, il n’y aura plus de Casbah et nous serons bien en mal de dire à nos enfants d’où vient ce mot qui figure sur nos cartes d’identité : « Algérien », d’El Djazaïr, de La Casbah donc. Tenez, déjà, le correcteur automatique de l’ordinateur signale que Djazaïr n’existe pas !

Ameziane Ferhani

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