Du bonheur dans l’air
Dès aujourd’hui, 1er juillet, l’interdiction de fumer dans les lieux publics fermés entre en vigueur en Angleterre. Cela concerne les lieux de travail (bureaux et usines), les pubs, les bars. Les fumeurs anglais, organisés dans l’association Freedom2Choose, qui milite pour la liberté du choix de fumer ou non, a déposé un recours en justice pour tenter d’empêcher cette catastrophe.
Ils demandent à la justice de vérifier la légalité du texte au regard des libertés individuelles. Cette interdiction violerait, selon eux, le droit de chacun de jouir paisiblement de ses biens ainsi que le respect de la vie privée. Cette interdiction est déjà appliquée dans le reste du Royaume- Uni : Ecosse, Pays-de-Galles et Irlande du Nord. Comme il semble qu’il n’y ait aucune chance que la justice leur donne gain de cause, les fumeurs anglais devraient se transporter, dans leur petit nuage de fumée, à Alger.
Là, on fume partout, et parfois à l’œil. Ils peuvent même, si affinités, aller carrément à Rome. Non, ce n’est pas un canular : des particules de cocaïne flottent dans l’air romain. C’est ce que révèle une étude scientifique italienne qui s’appuie sur des relevés effectués dans la capitale italienne, à Tarente (dans le sud de l’Italie) et… à Alger.
Outre la cocaïne, l’air romain contient des traces de cannabinol (CBN), le principal composant actif de la marijuana et du haschisch ainsi que d’autres substances toxiques, mais en moindre quantité, comme la nicotine et la caféine. Humer l’air de Rome en faisant son jogging par exemple, c’est inhaler la chlorophylle d’une mahchacha. On comprend mieux pourquoi ils sont fous, ces Romains. On s’interroge sur ces volutes en suspension dans l’air. Ce pourrait être la persistance de la fumée blanche qui s’élève de la cheminée du Vatican ? Mais le pape est élu depuis belle lurette et, au-dessus de Rome, de suspectes fumées poursuivent leur croisière un peu folle. Le point chaud où le taux de concentration de cocaïne le plus élevé a été relevé est la principale université de Rome, la sacro-sainte Sapienza, où les chercheurs ont détecté jusqu’à un nanogramme par mètre cube d’air.
Ceci explique cela. La fac où ça phosphore dru ne peut qu’exhaler les effets secondaires de tant de matière grise épandue dans l’air. On sait que la réflexion est grisante. Mais à ce point. Les scientifiques à l’origine de cette «première» mettent en garde contre toute interprétation hâtive “en raison du nombre limité de prélèvements effectués”. “Nous ne pouvons en aucun cas affirmer que la consommation ou le trafic de drogue est plus répandu dans cette zone”. Ivo Allegrini, médecin consultant pour l’Institut de la pollution atmosphérique, invite à ne pas dramatiser la situation.
Même une faible concentration, rappelle-t-il cependant, peut être nocive pour la santé. Première du genre réalisée dans une grande métropole, cette étude pourrait déboucher sur des conclusions comparables dans quelques autres capitales occidentales. Les traces de cocaïne sont nettement moins concentrées dans la ville de Tarente (Pouilles) et carrément «absentes» à Alger. Des particules de nicotine et de caféine ont été détectées dans les trois villes étudiées.
Donc, à Alger, pas de cocaïne mais de la nicotine et de la caféine. C’est déjà pas mal pour «el gosto, kho !». Si tu veux te fumer un peu de nicotine en prenant par inhalation ta caféine, version délétère de «kahoua ou garou», t’as qu’à te pointer à un carrefour embouteillé. Le vol plané, garanti, et gracieusement offert par la météo. Plus besoin de faire la chaîne devant le torréfacteur. Ni de faire venir de Carrefour, par courrier spécial, de l’Arabica à l’arôme de commerce équitable. Ni de te faire pistonner par le représentant algérien à l’OMC pour te dégotter quelques grains de vrai café à moudre.
Tu te passes désormais aussi du vendeur de clopes frelatées. Tu le bouderas en paquets et en détail. Tout cela est dans l’air, il suffit de tendre les narines. Pour la caféine, il n’est pas mauvais que tu observes le rituel algérois de la petite tasse que tu pourrais emplir de l’air caféique suspendu au-dessus de nos têtes. On pourrait même en remplir des barils et les fourguer pour du pétrole, ce qui ne peut que rehausser notre image pas mal abîmée dans l’Opep. Mais, tu vois, il y a quand même une injustice. Nous, à Alger, nous n’avons que des trucs qui excitent les nerfs : caféine et nicotine, le diptyque de la nitroglycérine sociale. Cette petite virée dans les airs de tabac et café sous forme de particules expliquerait pourquoi même les Algérois qui ne fument ni ne boivent de café sont au même niveau d’excitation mystérieuse que tout le monde.
C’est la mouture économique, détaxée d’une certaine manière. Mais si cette force qui distribue toutes ces choses dans les airs nous a épargné la cocaïne, c’est qu’elle savait que nous n’en avions point besoin pour être un peu fêlés. Marche un peu dans la rue et jure tes grands dieux que tes voisins de trottoir ou de chaussée sont sobres. Aucun Romain ne te croira. Devant leur café à la poudre de pois chiches et une cigarette saturée de bûches, j’en connais qui sont heureux. Heureux ! Pauvres et heureux ? Le tout, c’est de savoir comment mesurer le bonheur.
Plus exactement, y a-t-il des instruments rationnels pour le mesurer. C’est l’exercice auquel se sont prêtés cette semaine plus de mille économistes et statisticiens réunis au 2e Forum mondial à Istanbul par l’OCDE. La question est : comment introduire la notion de bien-être au cœur des instruments d’évaluation du progrès humain. Jusqu’alors, les indices de développement utilisés reposent essentiellement sur l’évaluation de la richesse accumulée comme la mesure du Produit intérieur brut (PIB).
La méthode repose sur cette interrogation : «Dans quelle mesure êtes-vous actuellement satisfait de votre vie ?» La personne interrogée répond en attribuant une note. World database on Happiness, base de données mondiale sur le bonheur, contient les données recueillies dans 95 pays. Selon elles, les gens les plus heureux sur terre sont les Danois. Indice de satisfaction : 8,2 sur 10.
Les plus malheureux seraient les Tanzaniens (3,2) (Etats-Unis, 17e ; France 39e ; Russie, 84e.) Ça n’a, bien sûr, rien à voir mais, selon les chercheurs, «les pays heureux sont ceux qui sont riches, avec une économie compétitive, ils sont démocratiques, bien gouvernés (…), ce sont ceux où règnent l’égalité des sexes et la tolérance, où les gens sont libres de rechercher le mode de vie qui leur convient le mieux». L’argent ne fait pas le bonheur, on le savait. Mais un peu d’argent pour se payer un café et une clope, ou une virée à Rome ou Alger, ça aide un chouia.
Arezki Metref