EL GOUMRI !
Aujourd’hui, interview exclusive de la star de ces dernières 48
heures. J’ai eu la chance de tendre mon micro au pigeon blanc qui
était posé sur le bras de Abdekka lors de la première journée de la
visite présidentielle à Sétif. Un grand moment de journalisme.
Du haut vol :
— Nom, prénom ?
— El Goumri. El Goumri Labyadh !
— Vous venez de voler la vedette au président de la République. C’est lui qui était en visite, et c’est surtout vous que l’on a vu…
— D’abord, je saisis au vol l’occasion unique que vous me donnez, vous les hommes de plume pour remercier la wilaya de Sétif. Les autorités locales avaient le choix entre l’aigle, la cigogne et moi. Et c’est sur moi que le choix s’est porté. Je suis honoré et ému.
— En même temps, un aigle ou une cigogne sur le bras de Abdekka, ça aurait été difficile, non ?
— Détrompez-vous ! A Sétif, au nom de la concorde et de la réconciliation, les autorités peuvent tout dompter. On aurait demandé à l’aigle de roucouler comme une colombe, il l’aurait fait !
— Comment avez-vous été contacté ?
— Un casting ! Classique. Une délégation d’experts en oiseaux est venue spécialement d’Alger pour nous superviser. Deux qualités étaient requises. Ne pas battre des ailes ni s’envoler à la moindre salve de baroud lancée par les troupes folkloriques. Et savoir contrôler son transit intestinal afin de ne pas salir le beau costume du raïs. J’ai passé les deux tests avec succès. Puis, il a fallu se plier à la fameuse enquête d’habilitation. Là, je vous avoue que j’ai eu un peu peur…
— Pourquoi donc ?
— J’ai un lointain et vague cousin, El Goumri Lakhal. Un drôle d’oiseau ! Il a rejoint le maquis des Bibans en 1994. Il y a fait office de pigeon voyageur, transportant les messages entre les différentes ailes du GIA qui opéraient dans la région. Mais comme ce cousin a quitté depuis le maquis, s’est rendu aux autorités et a bénéficié des mesures de clémence, cet élément n’a pas été retenu contre moi. Je pense même que cet antécédent familial m’a aidé. Un autre pigeon qui postulait comme moi, qui a réussi les tests comme moi et dont les plumes étaient bien plus blanches et plus brillantes que les miennes a été recalé parce que l’enquête d’habilitation a révélé que l’un de ses frères avait été chef patriote…
— Effectivement, c’est handicapant ! Sinon, que retiendrez-vous de ce grand moment ?
— Mis à part la canicule — par moments, j’ai cru que j’allais rôtir sous le soleil — j’ai passé les quatre plus belles heures de ma vie. Je plane encore.
— Des projets ? Avez-vous reçu des propositions après votre prestation à Sétif ?
— On m’a contacté pour les festivités du 5 Juillet prochain et pour les parades militaires. Mais bon, rien n’est fait ! Le 5 Juillet, c’est encore loin. Et puis on m’a raconté qu’à Alger, la concurrence sera rude. C’est bourré de pigeons dans la capitale !
— Comme toutes les stars, ne craignez-vous pas le syndrome de la grosse tête ?
— Pas de risque ! Dès que je sens que mon cou gonfle, j’applique une recette infaillible pour garder les pattes sur terre.
— Laquelle ?
— Je fume du thé et je reste éveillé à ce cauchemar qui continue.
Hakim Laâlam