Ah! Si j’étais riche!
Chaque rentrée amène inéluctablement les débats sur l’état de l’école, la qualité de l’enseignement et, bien sûr, la qualité de la formation des enseignants. Notre professeur de français et de latin qui avait un nom germanique et peu de sympathie pour les indigènes que nous étions, désespérait de ne pas avoir des tubes qui canaliseraient son savoir vers nos cerveaux incultes.
En revanche, d’autres enseignants trouvaient toujours le moyen, par un sujet digressif, une lecture de texte ou un thème de rédaction, de capter l’attention de l’élève et de l’inciter à faire des efforts par une participation active au cours. L’enseignant qui possède des outils pédagogiques doit, avant tout, chercher à connaître la personnalité de chaque élève de sa classe et Dieu sait que chaque tête brune ou blonde possède un caractère particulier qui, s’il n’est pas encore bien affirmé, possède déjà l’ébauche de l’adulte à venir. Un instituteur accompli est avant tout un psychologue.
Le nôtre (celui du cours moyen 2e année) formé à l’école pratique de la IIIe République (française bien sûr), était attaché à la méthode Freinet. En outre, d’emblée, dès le début des cours, il nous imposa une rédaction avec le thème «Si j’étais riche» inspirée sans doute par l’un des textes du Promeneur solitaire qu’était J.-J. Rousseau. C’était révélateur! Comment sonder la conscience et développer l’imagination de chaque petit être qui venait chaque matin se servir à l’école républicaine? Comment révéler chaque personnalité, en sachant que coexistent dans la même classe le fils du caïd, du garde champêtre, du berger, de l’épicier, du cordonnier, du fellah, des émigrés, du commerçant et de l’ivrogne du village.
Il y a des cas particuliers comme le fils de l’instituteur lui-même qui est traité comme les autres sinon plus sévèrement, et celui du petit orphelin élevé par son grand-père et qui reçoit toutes les attentions de l’instituteur. Car l’enseignant est au courant de toutes les situations sociales du village. Et il sait être aussi prévenant envers le fils du caïd, indulgent envers le fils du riche commerçant comme il compatit à la situation des défavorisés. Mais le thème choisi pour la rédaction lui a permis de connaître un peu plus les sentiments de ces enfants naïfs qui sont au seuil de l’adolescence.
Ainsi, il a pu noter que certains qui se sentaient à l’étroit dans ce petit village, rêvent de voyages et de découvertes de nouveaux horizons. Ceux dont le logis n’est qu’une obscure masure construisent (en Espagne bien sûr!) de magnifiques châteaux avec de somptueux jardins, de voluptueux jets, des arbres exotiques…Il découvrit aussi le caractère généreux de celui que la pauvreté obligeait à venir à l’école, pieds nus, et qui rêvait de prendre sa revanche sur le destin en distribuant de l’argent aux siens d’abord et en réalisant des projets d’utilité publique dans un environnement qui manque cruellement d’un jardin public, de toilettes…
Le fils du cordonnier dont l’imagination se révéla très réduite, fit sourire l’instituteur qui lut à toute la classe ébahie, le rêve du fils de l’artisan qui voulait offrir à son père une usine moderne de chaussures.
L’instituteur découvrit avec stupeur l’égoïsme de ceux qui voulaient construire de hauts murs pour protéger leur immense propriété…
Un seul rêvait d’habiter seul sur une île et de passer le plus clair de son temps à se prélasser au soleil ou à contempler les étoiles, «un futur poète, celui-là!» se dit l’instituteur qui lui donna quand même une bonne note…à cause du style.
Selim M’SILI