L’intrigant fétichisme du baccalauréat

Créé par Napoléon il y a exactement deux siècles (décret impérial de 1808), le baccalauréat, dont on ne sait trop s’il est un acquis de la culture française ou une séquelle du colonialisme, continue à charrier au fil des ans son lot d’immenses joies et d’aussi pénibles chagrins.

Il reste quand même surprenant, intrigant même, que les séances de stridents youyous, de cris de joie fusant de partout et criblant la nuit, ne soient réservés qu’au bac, alors que des réussites à des examens plus importants et de grades plus élevés, qui ouvrent droit à des postes de cadres dans le monde du travail, licence, magistère ou doctorat, sont passés sous silence et restent totalement inaperçus.

Sur l’autre rive des annonces de résultats, l’échec donne lieu à des flots de sanglots qui, autant que la joie excessive, n’ont aucune mesure avec la stricte réalité d’un examen qui, après tout, n’est qu’un examen, c’est-à-dire une épreuve qui n’a rien de vital. Pourquoi donc la magie de cet excès d’épanchement de sentiments, de bonheur ou de tristesse, n’opère-t-elle que pour le bac, que l’opinion publique et l’appréciation collective enveloppent dans une aura et une considération qui tiennent de la sacro-sainte vénération d’un bout de diplôme érigé en icône?

En fait, c’est là un exemple d’une réalité sociale qui relève du subjectif et qui ne s’embarrasse d’aucun rappel à l’ordre intimé par le souci d’objectivité ou de lucidité. Même le concept de fétichisme, qui consiste grosso modo à donner à un produit ou une entité symbolique plus de valeur qu’elle n’en a réellement, ne semble assez puissant pour qualifier cet engouement d’intérêt qui s’empare de toutes les familles concernées, ainsi que les proches et les proches des proches, en somme l’ensemble de la société, d’abord pour la préparation du bac, ensuite pour son déroulement, et enfin, l’intensité de la passion allant crescendo, pour la proclamation des résultats, moment culminant de l’explosion des réactions, que le verdict annonce le meilleur… ou le pire.

Le bac est un examen à part, parce qu’au fil des décennies, il a été gorgé d’un intérêt surdimensionné et surtout d’une teneur de fin en soi. Ainsi, au fil du temps, de moyen pour franchir le palier de l’université, le bac est devenu une fin, ce qui explique en partie le taux élevé de déperdition universitaire, conjugué aux conditions concrètes d’études ainsi qu’à l’absence de perspectives une fois acquis le diplôme universitaire, ce dernier provoquant un découragement par anticipation.

C’est là une preuve que le fétichisme et la magie du bac ne sont que passagers, et que le nouveau bachelier est vite rattrapé par des tâches qui n’ont rien de magiques, comme l’inscription (notons au passage que ce qui était par un passé pas très lointain un véritable parcours du combattant est devenu une partie de plaisir) et le contact avec un monde estudiantin au fronton duquel est inscrit : «Ah ! Si vous saviez ce qui vous attend…»

En ces lendemains de résultats, il faut honorer les candidats victorieux, mais ne pas oublier ceux qui ont eu moins de chance et leur expliquer qu’ils ont perdu une bataille, mais pas la guerre. Leurs parents doivent être conscients que parfois des échecs sont bien plus formateurs pour la personnalité que les succès et doivent, en s’armant de sagesse et de compréhension, éviter de blâmer leurs enfants, tout en les projetant vers le repassage du bac 2009 qui, à coup sûr, va faire oublier le faux-pas et le recalage de cette année.

Nadjib Stambouli

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