Hammams en péril

En appeler à la force scientifique portée par un temple où l’information garde ses trésors pour détruire un pan de nos traditions culturelles n’est quand même pas banal.

Cette semaine, c’est une énormité qui nous fait réagir. Mardi dernier, à la UNE du quotidien national El Moudjahid, placé bien en évidence dans ce qu’on appelle dans notre jargon «l’oreille», figurait ce titre «La fréquentation des bains traditionnels expose au risque de cancer du col de l’utérus». Un titre qu’on reçoit comme un violent coup de poing en pleine figure.

Une véritable agression. Une double agression. La première, contre le journalisme et sa prestigieuse école que fut le quotidien El Moudjahid où l’auteur de ces lignes y a tout appris de son métier. Une prestigieuse école qui nous a aussi appris qu’être titreur est une dure spécialité dont la première règle est qu’une longue phrase n’est jamais un titre. Et de ne jamais succomber au sensationnel tiré de l’absurde. Notre première peine est là. Une école, si grande naguère, réduite aujourd’hui au bricolage.

La deuxième agression est commise contre la culture. Notre culture. Dans la page intérieure où nous renvoie le «titre» voilà ce qu’on y lit en surtitre sur fond rouge (signifiant l’alerte générale): «Selon le Pr Abdelwahab Bakhti, spécialiste en gynécologie obstétrique à la clinique Hassiba-Ben Bouali (Blida)» suivi en gros caractères gras de la phrase érigée en titre à la UNE.

La suite, dans l’article, est ahurissante: ce Pr «a appelé, hier à Alger, les femmes et les jeunes filles à ne pas fréquenter les bains traditionnels car cela les expose au risque du cancer du col de l’utérus… (et ceci) quel que soit le degré de prévention et d’hygiène…les bactéries sont très répandues dans les bains maures…».

Une véritable sentence sans appel. Une sentence, qui prend un énorme poids, prononcée par un scientifique. Une sentence par laquelle un médecin tente de nous amputer d’une partie de notre patrimoine culturel. Une amputation relayée par un quotidien au riche passé.

Un passé si glorieux qu’il restera pour des générations de journalistes une référence. Une institution. En appeler à la force scientifique portée par un temple où l’information garde ses trésors pour détruire un pan de nos traditions culturelles, n’est quand même pas banal. Et sûrement pas innocent.

Surtout que la suite de l’article, toute la suite, soit 80% du texte, ne concerne en fait que la valorisation du métier de sage-femme. En virus informatique, on appelle cela un cheval de Troie. Un simple support qui cache une action de nuisance. Si bien cachée que l’article ne porte aucune signature.

Aucun Algérien, fier de son pays, ne peut laisser passer une telle énormité, car l’appel en soi n’a rien de scientifique même lancé par un professeur en médecine. Avec un tel raisonnement, peut-on appeler à la suppression des hôpitaux à cause du risque d’affections nosocomiales (bactéries très résistantes développées en milieu hospitalier), non moins mortelles, couru par les malades hospitalisés?

Est-il vrai qu’aucune prévention et hygiène ne sont possibles contre des bactéries? L’appel de notre professeur a-t-il fait l’objet, au préalable, d’une communication à la communauté scientifique à l’échelle internationale pour être validé? Une obligation pour toute nouvelle affirmation scientifique, sous toutes les latitudes. Sûrement pas, car le champ de la sentence aurait dépassé notre continent pour s’étendre jusqu’au nord de l’Europe où le sauna (une forme de bain maure) est un art de vivre.

Non! Une telle énormité ne peut pas être passée sous silence. Les dégâts culturels que nous avons subis sont suffisamment graves pour ne pas laisser quiconque en rajouter. Nos bains maures font partie de notre âme. Certes, leur état s’est dégradé. Un état dont on doit exiger la prise en charge par les autorités pour une amélioration. Mais en aucun cas suggérer l’éradication. On soigne un malade, on ne le tue pas. N’est-ce pas, professeur?

Zouhir MEBARKI

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