LES NOUVEAUX CHANTIERS DU CNES

Dans la nouvelle feuille de route du Cnes, un organe consultatif de l’Etat, le cap est résolument mis depuis quinze mois sur les questions de l’économie fondée sur la connaissance (EFC), la gouvernance et les libertés économiques.

Le chantier ouvert autour de l’économie fondée sur la connaissance atteste bien de cette nouvelle vision. Le diagnostic ou état des lieux en cours d’élaboration mobilise des experts algériens venant de toutes les régions du monde et des acteurs novateurs clefs de l’économie et de la société (il se veut néanmoins dépouillé de tout académisme); il sera suivi d’ici fin septembre de l’élaboration d’une stratégie qui, elle, réfute tout paternalisme pour associer des «parties toutes apprenantes», majeures et responsables.

Il n’y a pas que les préoccupations et la démarche qui soient novatrices ; il y a aussi le rapport aux autres, à tout ce qui gravite autour de l’institution du Cnes : «Faire un état des lieux des politiques publiques ne consiste pas à stigmatiser les décideurs mais à leur donner les moyens de s’auto-voir agir, leur faire mettre le doigt là où ça fait mal», se défend Mohamed Séghir Babès, son nouveau président.

La prise de conscience, le déclic recherchés se veulent consensuels et durables, «ils transcendent les partis et les conjonctures», dit M. Babès, et ambitionnent de tracer le meilleur chemin pour une croissance soutenue à travers une démarche «cohérente, articulaire, synaptique, intra et inter piliers». En sa qualité d’institution d’évaluation des politiques publiques dédiées à l’EFC, le Cnes semble résolu à labourer les sillons d’où écloront, à plus ou moins brève échéance, les oasis du savoir et de l’innovation.

M. Babès se refuse toutefois de s’arrêter au constat et projette de construire une stratégie EFC opérationnelle, déclinée en termes de politique publique structurante. Une approche systémique institutionnelle, intériorisée à tous les niveaux de l’Etat. L’EFC n’est pas une économie à part, elle traverse tous les champs traditionnels de la production et de la distribution avec des effets structurants.

De même qu’il ne s’agit nullement d’une «tertiairisation» de l’économie, mais plutôt d’une «contamination positive» à partir des îlots sur lesquels est concrètement assise aujourd’hui l’économie de la connaissance. Le nouveau paradigme de l’EFC repose sur quatre piliers. Le premier tient à ses caractéristiques propres : indemne de rivalité et de destruction, elle se prête mieux que d’autres et plus qu’avant à l’accumulation. Le second se rapporte au type de biens qu’elle génère : ils sont aussi publics que privés et l’Etat y intervient comme accompagnateur.

Le troisième évoque les nouveaux risques qu’elle comporte quant à l’obsolescence, les financements et la protection de la propriété intellectuelle. Enfin, les nouveaux types de gouvernance qu’elle implique, marqués par l’horizontalité, le collectif, les réseaux et la confiance. Les premiers éléments du bilan EFC, en cours d’élaboration avec le soutien de la Banque mondiale, indiquent, pour reprendre notre ami Abdelmadjid Bouzidi (activement associé à ce chantier), que nous sommes toutefois dans une «logique – salutaire – d’approfondissement, avec un faible entraînement».

Un constat qui interroge sur l’existence d’un pilote que les experts sont unanimes à situer au plus haut niveau de l’Etat si on veut que le déclic tant attendu se produise et que la mayonnaise prenne». Il est vrai que nous sommes unanimes à déplorer que le fil de l’accumulation soit perdu : dans les années 1970, du temps du Commissariat national à l’informatique, l’Algérie avait plus d’une longueur d’avance sur nombre de pays aujourd’hui à la pointe des TIC.

Comment et pourquoi nous sommes-nous retrouvés à la traîne après avoir été leaders ? Fort heureusement, tout ne semble pas définitivement perdu. Les premiers éléments du bilan témoignent d’une reprise significative depuis 2000, quoique réduite au regard de ces réserves de croissance ; elle met également l’accent sur une démarche plus globale et mieux coordonnée. Au préalable, il faut convaincre les décideurs d’une EFC pour l’Algérie.

Une tâche ardue qui incombe principalement à M. Abdelkader Djeflat, chargé de mener bien une réflexion autour de la question : «L’Algérie dans l’économie de la connaissance : état des lieux et perspectives». L’objectif est d’opérer une mutation dans le régime de la croissance. Le régime actuel de la croissance est tiré par les hydrocarbures, avec une production industrielle en baisse (moins de 5% du PIB) ; les exportations hors hydrocarbures ne dépassent pas les deux milliards de dollars ; la vulnérabilité aux chocs extérieurs y est élevée et le potentiel connaissance n’y est que partiellement mobilisé.

Le défi est de lui substituer un nouveau régime de croissance tiré par le savoir-faire et l’innovation, capable d’asseoir durablement des rythmes élevés de 6- 7%, avec une optimisation de l’usage de l’outil de production (il tourne aujourd’hui à 45% de ses capacités), une plus grande intégration de l’immatériel dans la production de richesses 43% des PME n’ont aucun investissement immatériel aujourd’hui), une relance des exportations à haute valeur ajoutée technologique, l’accélération de la création d’emplois (7 nouveaux postes de travail doivent être créés à l’horizon 2020), une plus grande productivité globale des facteurs de production, etc.

On attend également de l’EFC qu’elle participe à combler le déficit de croissance cumulé, en raison du lourd passif des années 1990. Le tournant à négocier consiste ici à convertir les opportunités offertes par les revenus pétroliers en actifs d’innovation. Les quelque 20 000 chercheurs recensés constituent à cet effet un levier non négligeable, conjugué à l’apport même d’appoint des expatriés. Ils forment un capital savoir multiplicateur de création de valeur ajoutée.

Il ne suffit pas de dire pourquoi notre pays trouve intérêt à s’inscrire résolument dans la nouvelle économie ; encore faut-il savoir comment. Pour l’instant, l’EFC est le fil conducteur de trois grands chantiers à l’œuvre : la stratégie industrielle qui fait la part belle à l’innovation et aux ressources humaines, le schéma national d’aménagement du territoire (Snat 2025) qui intègre les pôles d’excellence et de compétitivité et le Plan national de développement rural (PNDR), lui aussi fortement assis sur la maîtrise de l’information et du savoir.

Les frémissements unanimement reconnus pour l’éclosion des TIC ne produisent pas l’effet d’entraînement escompté en raison de trois grands obstacles : un secteur de l’éducation confronté à des impératifs de massification et des contraintes de qualité ; un système d’innovation déstructuré, incomplet et peu coordonné ; des institutions de gouvernance encore hermétiques à la connaissance.

Le scepticisme constaté à l’endroit de l’EFC est localisé aussi bien parmi les décideurs qu’au sein des PME ou, de façon plus diffuse et contraignante, dans le prolongement des tenants néolibéraux du «tout marché». Tout n’est cependant pas perdu. Des entreprises publiques ou privées donnent l’exemple soit parce qu’elles sont fortement ouvertes sur les marchés extérieurs (cas de Sonatrach), soit parce qu’elles sont à la conquête du marché national (Saidal, Eepad) ou international (Cevital), soit parce qu’elles sont des filiales de grands groupes étrangers (Mital Steel). Le tout est de faire en sorte qu’autour de ces «éléphants» se multiplient des «gazelles» provenant de l’immense pépinière des PME. Dixit Mustapha Mékidèche.

Ammar Belhimer

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