Records
L’homme est un animal vraiment curieux: il ne se contente pas de manger, boire, dormir et se reproduire. Il cherche tout le temps à améliorer ses conditions de vie; mieux, il cherche constamment à se dépasser dans toutes ses activités. Il essaie de repousser sans cesse plus loin les frontières du possible, toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus grand…
Non content de réaliser sans cesse de nouveaux records dans tous les secteurs de son activité, l’homme, au siècle de la communication, a éprouvé le besoin d’enregistrer tous ses records. Ainsi, il faudra le Guinness des records, société qui, dès 1955, porta les extrêmes à la connaissance de tous: on sut bientôt quel était l’homme le plus haut du monde, le plus gros, le bateau le plus rapide, le plus grand. Les animaux, bien entendu, furent les premiers à inaugurer ce fantastique inventaire.
Après les animaux, ce fut le tour des objets: ainsi les gens se mirent à dépenser des sommes folles, à réaliser des records aussi stupides qu’inutiles: ceux-ci réalisent le plus long sandwich du monde, le plus grand couscous du monde…ceux-là mettent à profit leurs capacités physiques pour réaliser leurs performances: le mangeur le plus rapide de figues de Barbarie ou de saucisses de Strasbourg.
D’autres luttent contre la fatigue ou le sommeil en pédalant le plus longtemps possible, en chantant ou en jouant du piano. Chaque année ces records tombent, parce que des gens plus performants arrivent sur la place, leur performance est aussitôt homologuée par un commissaire envoyé par la société Guinness et les anciens champions passent à la trappe.
Mais dans toutes ces actions, c’est avant tout la beauté du geste qui est recherchée, les champions ne gagnent rien, ils sont heureux de voir leur nom inscrit quelque part et c’est tout. Tout cela pour me poser la question sur la motivation qui a poussé des responsables à organiser des concours qui consistent à réaliser des drapeaux d’une taille gigantesque.
Le patriotisme? Le drapeau, étant un symbole sacré de la nation, sa taille ou la qualité de l’étoffe dans lequel il est taillé comptent peu devant les émotions dont il est chargé. A trop s’attacher aux formes, on risque de perdre le fond et c’est là le risque.
Le patriotisme peut s’exprimer autrement que par la confection d’un symbole qui sera remisé dans les archives et qui ne pourra être utilisé si peu ou pas du tout. Il y aurait mille autres façons d’exprimer son attachement à son pays: composer un hymne, planter un arbre, assainir son quartier, lutter contre le gaspillage et la gabegie, faire des économies au budget de l’Etat, travailler dans l’intérêt exclusif de la collectivité…
En un mot, pas plus que la longueur d’une barbe ne saurait être l’expression assurée d’une foi sincère, la taille d’un drapeau déployé en temps de paix ne saurait être le gage d’un patriotisme.
Selim M’SILI