Broyer dans l’œuf la grande criminalité
Le drame de l’Algérie réside dans ce paradoxe qu’après avoir digéré dans la douleur les affres et deuils du terrorisme, elle a pris le pli de tenir pour moindre mal toutes les autres tragédies, installées ou pointant leur bout de calamité. Ainsi en est-il du kidnapping, terrible et grave fléau sévissant depuis déjà quelques années en Kabylie, pour le moment, faut-il préciser.
Cette précision vaut son pesant d’alerte, parce que la sinistre expérience a montré que bien des régions que l’on considérait comme épargnées par les ravages d’un mal (à l’exemple, décidément, de la même Kabylie et du terrorisme) se sont retrouvées par la suite en proie avec les impacts du crime, s’érigeant même en région la plus menacée.
Ce renversement de situation s’explique à l’évidence par l’installation au sein de la population et parfois même au sein des forces de l’ordre d’une sorte de mentalité d’immunisé, reléguant à l’infime portion les réflexes de vigilance et de qui-vive.
Cela crée une situation de calme et de sérénité généralisée, propice à l’installation en toute quiétude des forces du mal et de leur constitution en bandes d’abord, en réseaux de type mafieux ensuite. Il faut souligner que pour la Kabylie en particulier, cette situation de non-droit a été aggravée par le départ «forcé» des gendarmes, retrait (heureusement en voie d’être comblé) qui a laissé place nette à l’anarchie et à une absence de l’autorité publique dans lesquelles les vrais commanditaires de cette revendication ont trouvé toute la latitude pour évoluer sans crainte et en toute impunité.
Nous sommes dans une période transitoire, et probablement pour longtemps, où vont éclore une multitude de bandes criminelles qui vont agir sous «couvert» du terrorisme, l’ambiguïté servant à détourner l’attention des enquêteurs vers les caches et maquis de repli, alors que l’auteur du crime, rapt, attaque de fourgon convoyeur ou cambriolage à main armée de bureau de poste, est tapi juste à côté, parfois dans le village même du méfait. Les kidnappings suivis de libération après paiement de rançon (le dernier en date s’étant déroulé ce week-end à Aït Toudert, pour 4 millions de dinars) ont fini par s’inscrire dans la routine.
Il faut savoir que certains gros entrepreneurs et hommes d’affaires prennent mille et une précautions et mesures de protection dans leurs déplacements et que d’autres ont carrément décidé d’éviter cette zone à risques, mais jusqu’à quand ? Jusqu’à quand va-t-on assister, impuissants, au diktat des racketteurs et à la loi de la jungle en pays civilisé, du moins censé l’être ? Jusqu’à quand va-t-on laisser des familles procéder au seul acte qui soit à la fois condamnable et compréhensible, celui de payer des rançons s’élevant de quelques millions à quelques milliards de dinars ?
Ce geste est d’une part condamnable parce que c’est une soumission à la volonté des hors-la-loi, donc un encouragement à la poursuite de leurs crimes, et d’autre part compréhensible parce que nul être doté de raison n’oserait en vouloir à une famille de tenter tout ce qui peut l’être pour sauver la vie d’un père, fils ou frère.
Le crime des kidnappings est cyclique et s’inscrit dans une spirale infernale, qui avec les autres «hauts faits d’armes» du grand banditisme tels que réseaux de dealers, attaques de convois de fonds et autres rackets et cambriolages, étale au grand jour la constitution progressive dans notre pays de poches de la grande criminalité, qui va se relier à la longue aux réseaux internationaux.
On a la mondialisation qu’on peut. Plus sérieusement, le cours de cette spirale doit être bloqué, pendant qu’il est encore temps et avant qu’il ne soit trop tard, et la responsabilité de cette rupture d’évolution incombe aux pouvoirs publics. Et à eux seuls.
Nadjib Stambouli