Rêve francophone

Cela fait cent vingt ans que j’attends cela! Vous me direz que je suis encore loin d’atteindre cet âge biblique et je vous répondrais que vous avez raison: j’ai à peine plus de la moitié de cet âge vénérable. Mais, car il y a toujours un mais, dans les raisonnements logiques appris à l’école très cartésienne de la IIIe République, j’ai décidé de prendre à mon compte les rêves de mon arrière-grand-père, analphabète bilingue, qui a vu se construire la première école de la région dans un champ situé alors à l’écart du village.

C’était en 1880, l’année de la naissance de mon grand-père qui a passé deux années dans cette grande école appelée «vielle école» parce que on en a reconstruit une autre plus fonctionnelle cinquante années plus tard au milieu d’un village pacifié. J’ai fini par retrouver le rêve avorté de mon vieux grand-père qui avait tout juste appris que le Mont-Blanc faisait 4810m (alors que de mon temps on m’avait enseigné le chiffre exact et officiel de 4807)!

C’était la seule information que m’a transmise ce grand-père qui s’était dépêché de quitter l’école à 12 ans pour ouvrir une forge et passer le reste de sa vie à rythmer la vie du village au son du marteau et de l’enclume. Mon grand-père a raté l’école pour des raisons économiques et son fils aussi. Le nombre de rêves qui se sont brisés pour des raisons économiques doit être astronomique!

Bref! finalement à force de persévérance, le ver est entré dans le fruit au point que le fruit a pris le goût du ver. Mais c’est d’un goût enivrant! Le poète local qui a vécu les premiers méfaits de la colonisation, El Hadj Arezki Ihouachen, (il a passé deux ans sur la route de la Mecque!), avait dit:

«Quand ils nous ont appris “bonjour”,

On a reçu un coup sur le nez

Quand ils nous ont appris “bonsoir”

On a reçu un coup sur la mâchoire»

Heureusement, l’être humain s’adapte à tout et les coups sur le nez et la mâchoire sont vite devenus des caresses au point que la langue des envahisseurs est devenue un butin de guerre: quel magnifique butin! Je me demande toujours si ma vie aurait été la même si, au lieu d’apprendre la douce chanson A la claire fontaine…qui me faisait aimer ma gracieuse institutrice, une fille d’Azzefoun convertie au catholicisme (il faut le préciser!), j’avais appris comme les enfants Nahnou atfalou sighar.

C’était le pied: les instituteurs étaient compétents, les institutrices étaient charmantes et la langue avait emprunté les qualité de ceux qui étaient chargés de la dispenser. Peu à peu, le rêve devient réalité et le pays devient le deuxième pays francophone du monde. Juste après la Gaule!

Les élèves dépassèrent les maîtres et bientôt l’indigène des Béni Menacer siégea à l’Académie. Et avec tout cela, il paraît que l’entrée de l’Algérie dans le merveilleux club de la Francophonie où tout baigne dans l’huile, se fera prochainement. Tout vient à point à qui sait attendre.

Selim M’SILI

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