Prédispositions
Le chiffre donne le vertige! Six cent mille! D’abord à ceux qui peuvent mesurer le chemin parcouru depuis 1962, quand quelques centaines seulement de candidats briguaient le chemin de l’unique université dont la bibliothèque venait d’être brûlée.
Ce chiffre doit donner des sueurs ensuite à ceux qui sont chargés de préparer les infrastructures et les conditions d’une rentrée paisible sans trop de vagues. Le chiffre doit solliciter l’imagination de chacun d’entre nous qui essayons de faire la comptabilité des copies qui seront remises, du nombre de coups de crayon jetés en marge des copies et enfin des chiffres qui seront projetés deux fois en tête de texte.
Hallucinant! Mais cela n’est rien en face de la quantité d’adrénaline produite à l’énoncé ou à la lecture des épreuves ni en face de l’intensité du trac du candidat et de l’angoisse des parents en attendant l’issue fatale.
Cependant, si l’évolution du nombre de candidats au dernier obstacle posé sur le parcours scolaire, la qualité et le niveau de l’enseignement dispensé demeurent préoccupants surtout que le diplôme obtenu n’est pas reconnu partout dans le monde mais ce qui tracasse encore plus, les candidats comme leurs parents, c’est la destination finale des heureux lauréats qui vont être injectés, selon leurs résultats, dans ces grands trous noirs que sont les filières, véritables labyrinthes d’où ne ressortent que les plus doués et les plus aguerris.
En tenant compte des petites anomalies qui doivent exister sous toutes les latitudes et qui font qu’un examen n’est qu’un alibi pour la reproduction des classes qui se sont formées au fil des luttes et des heurts des idéologies.
En supposant que tout se passe le plus normalement du monde, comme lors des élections, il convient d’admettre que pour former des ingénieurs qui conçoivent et appliquent, des médecins qui soignent et prescrivent, des imams qui prêchent, des enseignants qui passent le relais, des chercheurs qui explorent l’inconnu, les méthodes de formation doivent s’adapter en fonction de l’évolution des technologies et surtout des concepts et des valeurs du moment.
Le futur cadre qui sera exploité (à condition qu’il trouve du travail), doit savoir mettre en pratique toutes les théories et abstractions apprises, avalées et digérées durant les trois cycles imposés. Pour suer, pour produire, des diplômes qui traduisent des qualités et des capacités reconnues s’imposent.
Mais pour former des hommes politiques, il n’est guère besoin, au vu des expériences passées, d’une formation académique pour les futurs meneurs d’hommes qui seront amenés, selon leurs qualités respectives, soit à lever seulement la main dans un hémicycle déserté, soit à accrocher des rubans sur des poitrines remplies d’émotions, soit à lire des discours redondants écrits par des plumes bavardes.
A cette fin, en partant du fait que morale et politique sont en perpétuelle menace de divorce, de nouveaux types d’examens où l’oral est plus important que l’écrit, doivent être imposés aux futurs postulants aux carrières politiques: un candidat bien de sa personne, élégant, éloquent, qui peut passer aisément de l’arabe au français en passant par un idiome local sans avoir recours à un lexique ou à un souffleur de service, qui peut sans rougir faire mentir les chiffres, la réalité têtue, marteler sans trembler des certitudes démenties par les faits, en un mot, vendre un frigo à un Esquimau, ou fourguer un camion de sable à un quidam d’Oued Souf, vous tenez là, sans nul doute, un futur Premier ministre possible.
Et si le candidat, en plus des qualités énoncées, dispose d’une échine de contorsionniste, qu’il peut avaler, sans haut-le-coeur, toutes les couleuvres du monde, respirer sans se boucher le nez tous les miasmes des affaires nauséabondes, se flageller sans pudeur sur la place publique et se mouiller jusqu’au trognon parce qu’il ouvre le parapluie pour d’autres, il fera certainement le meilleur syndicaliste de service sur la place de la Bourse. Et si par-dessus le marché il assume toutes ces compromissions, alors c’est un oiseau rare qu’il ne faut pas lâcher.
Selim M’SILI