Paroles de Grenade!
La situation la plus révoltante est de se savoir dans une position d’infériorité et ne pas pouvoir faire quelque chose pour y remédier. Dans la position d’une personne ligotée et bâillonnée, les peuples du Tiers-Monde assistent, impuissants, au pillage de leurs maisons.
Et c’est une situation qui dure! La plupart des gens de ma génération, c’est-à-dire ceux qui ont connu la période de la guerre froide, une ère bien heureuse où il n’y avait pas qu’un seul gendarme pour faire la loi au monde entier, ont applaudi l’exploit technique réalisé par les Russes (j’allais dire les Soviétiques à force d’habitude) et qui consiste à planter un petit drapeau au fond de l’océan Arctique, à l’endroit même où est censé être le pôle géographique de la planète.
Ce geste, cet exploit n’est pas seulement une prouesse technique mais un signal chargé d’une forte signification politique comme pour dire: «Ceci est à moi! Quiconque y touchera…» Evidemment, les pays occidentaux ne l’entendent pas de cette oreille.
Eux qui se sont partagés le monde à la suite de traité supervisé par le pape ou par des conférences qui ont suivi des guerres meurtrières pour l’accaparement d’empires dont les indigènes étaient les premiers exclus, sont soudainement choqués par les prétentions d’une puissance qui, non satisfaite de récupérer ses richesses nationales, posent dès aujourd’hui, les limites qu’il ne faut pas dépasser.
Il faut dire que les règles du jeu ont bien changé. Jadis, les puissances coloniales s’adjugeaient des territoires immenses par leur seul fait de planter un drapeau sur une terre désolée avec l’approbation d’un chef de tribu séduit par la pacotille que ce geste anodin dont il ne devait pas saisir la portée, lui rapportait. Les explorateurs, les conquistadors sont passés à la postérité laissant dans les livres scolaires les traces d’une épopée glorifiant les conquêtes et l’asservissement.
Or, avec la fin de la guerre froide, les anciennes puissances coloniales ne s’embarrassent point de méthodes. Elles se partagent le travail: si certains pratiquent la politique de la canonnière en débarquant des troupes dans des pays indépendants (et pétrolifères) sous des prétextes douteux et perpétuer ainsi une occupation illégale, illicite, d’autres pratiquent toujours la politique sournoise qui consiste à financer des partis et des mouvements indépendantistes, créés ex nihilo surtout dans les régions qui recèlent des richesses certaines.
D’autres concoctent de nouvelles associations néocoloniales comme l’Union pour la Méditerranée afin de mieux arrimer à leur navire ces pays qui ont la malchance d’être riches en matières premières, d’être situés dans le Sud, de souffrir de régimes autoritaires et d’être tentés par une amitié soudaine pour la Chine ou la Russie.
Au moment même où les états-majors discutent de l’exploitation prochaine des richesses de la Lune ou de Mars, chez nous, on en est encore à se demander qui de l’oeuf ou de la poule a été créé en premier. Il y en a même qui contrôlent les lectures des citoyens! Nous sommes toujours dans la situation du Royaume de Grenade où l’on discutait sans fin de la beauté des vers tandis que Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille jetaient les bases d’un vaste empire.
Selim M’SILI